3.8 Les mesures de rechange
Guide du Service des poursuites pénales du Canada
Ligne directrice de la directrice donnée en vertu de l’article 3(3)c) de la Loi sur le directeur des poursuites pénales
3 juin 2024
Table des matières
- 1. Introduction
- 2. Autorisation de la directrice des poursuites pénales
- 3. Principes et critères applicables
- 4. Mise en œuvre des mesures de rechange
1. Introduction
Le principe fondamental qui sous-tend le recours aux mesures de rechangeNote de bas de page 1 aux termes de l’art. 717 du Code criminel est que la procédure pénale devrait être utilisée avec retenue. Cela signifie que ce ne sont pas toutes les personnes accusées d’une infraction qui devraient faire l’objet d’une poursuite criminelle. Dans certains cas, l’intérêt public peut être mieux servi par un règlement faisant appel à des mesures de rechange. Ces dernières donnent l’occasion à l’accusé de voir les accusations portées contre lui traitées en dehors du processus pénal, s’il assume la responsabilité de ses actes et convient de réparer les torts causés. Elles permettent aux procureurs de tenir compte de la nature de l’infraction et des circonstances entourant sa perpétration ainsi que de la situation personnelle de l’accusé.
L’article 717 du Code criminel s’applique à toutes les infractions fédérales, sauf disposition expresse contraire de la loi fédéraleNote de bas de page 2. Les procureurs doivent se renseigner à l’égard des lois fédérales qui comportent leur propre régime de mesures de rechange.Note de bas de page 3
Les procureurs doivent par ailleurs faire preuve de diligence lors de la prise de décision de façon à reconnaître leurs propres préjugés conscients et inconscients, ceux de nature institutionnelle ainsi que les stéréotypes. Il est primordial d’être au fait de ces idées préconçues et de prendre les mesures concrètes qui s’imposent pour les écarter afin que la décision de recourir ou non à des mesures de rechange ne perpétue pas quelque forme de discrimination systémique ou de racisme que ce soit.
2. Autorisation de la directrice des poursuites pénales
En vertu de l’article 717(1)a) du Code criminel, le recours aux mesures de rechanges ne peut se faire que si ces mesures font partie d’un programme de mesures de rechange autorisé par le procureur général ou son substitut légitime, la directrice des poursuites pénales (DPP)Note de bas de page 4.
La DPP autorise les procureurs à recourir à toute mesure conforme aux principes et aux critères inclus dans cette ligne directrice.
Les mesures de rechange n’ont pas à faire partie d’un programme officiel ou distinct.
La DPP autorise les mesures de rechange suivantes :
- Les travaux communautaires ;
- La restitution ou l’indemnisation en espèces ou en services ;
- La médiation ;
- Le renvoi à des programmes spécialisés de consultation, de traitement ou d’éducation (par exemple, la préparation à la vie active, le traitement des troubles liés à l’alcool ou l’utilisation de substances ou la gestion de la colère), y compris ceux implantés par des conseillers autochtones, des aînés ou encore des membres de la collectivité ;
- Le renvoi à des comités de justice communautaire, à des comités autochtones et à des comités de justice pour la jeunesse ;
- Des programmes de réconciliation entre la victime et le contrevenant et des mesures de justice réparatrice du même ordre ;
- Une lettre d’excuse ;
- Toute autre mesure de rechange raisonnable ou toute mesure conforme aux objectifs et aux critères énoncés dans la présente ligne directrice.
Les procureurs peuvent aussi renvoyer un accusé à une mesure de rechange appropriée prévue dans le cadre d’un programme autorisé par une province ou un territoire conformément à l’art. 717(1)a) du Code criminelNote de bas de page 5.
3. Principes et critères applicables
3.1 Principes généraux
Les procureurs peuvent envisager des mesures de rechange avant ou après le dépôt d’accusations, mais seulement si le seuil requis pour intenter une poursuite est atteintNote de bas de page 6. Si ce seuil n’est pas atteint, les procureurs doivent retirer les accusations ou demander l’arrêt des procédures. Pour plus de précision concernant le seuil requis pour intenter des poursuites, consulter la ligne directrice 2.3 « La décision d’intenter des poursuites ».
L’article 717(1) du Code criminel précise les cas dans lesquels il est possible de recourir à des mesures de rechange. L’article 717(2) indique qu’il n’est pas possible d’y recourir si l’accusé nie sa participation ou son implication à la perpétration de l’infraction, ou manifeste son désir que l’accusation soit traitée par le tribunal.
D’autres lois fédérales peuvent prévoir des exigences particulières concernant les mesures de rechange. Par exemple, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS)Note de bas de page 7 commande aux procureurs d’envisager des mesures de rechange dans les poursuites portant sur des infractions de possession de drogue à des fins personnelles. Aux termes de l’article 10.3 de la LRCDAS, les poursuites pour possession d’une substance désignée ne sont opportunes que compte tenu des principes énoncés à l’art. 10.1. Les procureurs doivent également se conformer aux directives énoncées à la ligne directrice 5.13 « Les poursuites portant sur la possession d’une substance contrôlée aux termes de l’art. 4(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ». Cette ligne directrice exige que des alternatives à une poursuite doivent être envisagées dans tous les cas où des accusations pour possession d’une substance à des fins personnelles ont été portées, à moins que celles-ci ne puissent répondre adéquatement aux préoccupations liées à la conduite de l’accusé.
Les procureurs devraient envisager des mesures de rechange dans les dossiers lorsque les objectifs suivants peuvent être atteints :
- Susciter le sens des responsabilités chez l’accusé ainsi que la reconnaissance du tort causé ;
- Promouvoir la sécurité publique, la dissuasion, la dénonciation, la réadaptation et le dédommagement des victimes et de la collectivité sans recourir au processus judiciaire, permettant ainsi d’épargner à l’accusé les conséquences d’une condamnation au criminel et d’un casier judiciaire.
Les procureurs doivent déterminer si des mesures de rechange sont appropriées dans les circonstances. Ils doivent tenir compte des critères législatifs, de la nature ainsi que de la gravité de l’infraction de même que des facteurs historiques et systémiques se rapportant à l’accusé. Les procureurs doivent adopter une approche de principe cohérente, équitable et flexible lors de l’évaluation initiale et de la mise en œuvre des mesures de rechange.
Ils doivent par ailleurs se familiariser avec les mesures de rechange dont dispose la collectivité dans laquelle les poursuites sont intentées.
3.2 Critères législatifs
Les procureurs qui envisagent de recourir à une mesure de rechange doivent être convaincus que les conditions préalables prévues par la loi sont remplies, à savoir :
- La mesure est autorisée au titre de l’art. 717(1)a) du Code criminel et est conforme à la section 2 de la présente ligne directrice ;
- La mesure de rechange est appropriée compte tenu des besoins de l’accusé, de l’intérêt de la société et de la victime (art. 717(1)b) du Code criminel) ;
- L’accusé, informé des mesures de rechange et de son droit à l’avocat, consent à participer pleinement et de manière volontaire à leur mise en œuvre (art. 717(1)c) et 717(1)d) du Code criminel) ;
- L’accusé se reconnaît responsable de l’infraction qui lui est imputée (art. 717(1)e) du Code criminel) ;
- Il y a des preuves suffisantes justifiant une poursuite, et aucune règle de droit ne fait obstacle à la poursuite (art. 717(1)f) et 717(1)g) du Code criminel).
3.3 Facteurs historiques et systémiques se rapportant à l’accusé
Les procureurs doivent déterminer si les mesures de rechange sont opportunes compte tenu de la situation de l’accusé. Ils doivent ainsi prendre en considération les facteurs suivants :
- La surreprésentation des accusés membres des Premières Nations, Inuits et Métis dans le système de justice pénale ;
- La surreprésentation des personnes noires et de personnes issues d’autres groupes racialisés ou marginalisés dans le système de justice criminelle ;
- Les facteurs systémiques et historiques ayant contribué à ce que l’accusé soit traduit devant les tribunaux ;
- La situation personnelle de l’accusé, notamment les facteurs ayant contribué à la perpétration de l’infraction et ceux ayant une incidence sur la culpabilité morale de celui-ci, comme les circonstances liées à la santé mentale, les troubles liés à l’utilisation de substances, l’âge, la précarité du logement, le racisme et les iniquités raciales ;
- Les remords de l’accusé, notamment si celui-ci a accepté de verser un dédommagement équitable aux victimes ;
- Le fait que le recours à la justice réparatrice puisse répondre aux enjeux à l’origine de la perpétration de l’infraction ;
- Les mesures de réinsertion sociale entreprises par l’accusé pour éviter la récidive ;
- Les antécédents criminels de l’accusé. Le fait que ce dernier a déjà commis une infraction ou a déjà fait l’objet de mesures de rechange n’empêche pas de recourir à celles-ci. Les procureurs devraient prendre en considération toutes les circonstances entourant les antécédents criminels de l’accusé ;
- Toute autre accusation criminelle dont l’accusé fait l’objet ;
- Le risque que pose le contrevenant pour la collectivité.
3.4 Nature de l’infraction
Tel qu’indiqué dans l’introduction de cette ligne directrice, la loi ne limite pas les types d’infractions pouvant faire l’objet de mesures de rechange. Par conséquent, il est possible d’y recourir pour l’ensemble d’entre elles.
Parallèlement, il importe de souligner que les mesures de rechange ne sont appropriées que si elles assurent la protection de la société et le maintien de la confiance du public envers l’administration de la justice. Par ailleurs, il est important de reconnaître que les mesures de rechange peuvent renforcer la sécurité publique et la confiance du public en s’attaquant aux causes sous-jacentes du comportement criminel.
Pour déterminer si des mesures de rechange sont appropriées, les procureurs doivent prendre en considération la liste non exhaustive des facteurs suivants pouvant être pertinents selon le cas :
- La nature et la gravité de l’infraction ;
- Tout préjudice potentiel pouvant être causé à la collectivité, à la société ou à la victime (le cas échéant) ;
- Si le préjudice causé nécessite de recourir au processus pénal ou s’il est possible d’y remédier par le biais d’une mesure de rechange ;
- La peine prescrite et la fourchette des peines prévues par la common law pour ce type d’infractions ;
- Les principes et facteurs pertinents en matière de détermination de la peine énoncés dans le Code criminel et les autres lois fédéralesNote de bas de page 8 ;
- Le point de vue des organismes d’application de la loi ;
- Le degré de responsabilité de l’accusé.
3.4.1 Consultations
Compte tenu des circonstances particulières d’une affaire, les procureurs doivent envisager de consulter les personnes suivantes avant d’évaluer le recours à des mesures de rechange :
- Les procureurs fédéraux en chef (PFC) ou PFC adjoints (PFCA)
- Les PFC ou PFCA doivent approuver le recours à des mesures de rechange lorsque l’infraction est grave, comme celles qui comportent une quantité importante d’une substance nocive ou soulèvent des préoccupations en matière de la sécurité publique ou de violence. Les procureurs doivent déterminer si une infraction est grave en se fondant sur les circonstances uniques de chaque dossier.
- Les victimes
- La Charte canadienne des droits des victimes (CCDV)Note de bas de page 9 donne aux victimes le droit d’obtenir des renseignements sur demande. Sauf circonstances exceptionnelles, les procureurs devraient consulter les victimes (le cas échéant)Note de bas de page 10 et les informer de leur intention de recourir à des mesures de rechange.
- La communauté
- Lorsque cela est raisonnable et approprié, les procureurs peuvent décider de consulter les dirigeants communautaires pour déterminer si une mesure de rechange est opportune compte tenu des intérêts de la société et de la victime.
- Les organismes d’application de la loi
- Les procureurs devraient consulter l’organisme concerné pour tenir compte de ses objectifs ainsi que de ses politiques applicables en matière de conformité qui peuvent comprendre, à titre d’exemple, la protection de la santé et de la sécurité humaines, de l’environnement et la gestion durable des ressources naturelles.
- Les avocats de la défense
- Ceux-ci peuvent posséder des renseignements pertinents qu’ils sont disposés à communiquer aux procureurs pour leur permettre de considérer les mesures de rechange. Ils peuvent également formuler des suggestions à l’égard du type de mesures de rechange qui pourraient être appropriées dans les circonstances.
- Les collègues
- Il importe de consulter d’autres procureurs en vue de tenir compte des différents points de vue.
4. Mise en œuvre des mesures de rechange
Au terme des mesures de rechange, les accusations peuvent être retirées ou l’arrêt des procédures demandé ; la peine infligée peut être réduite. Les procureurs devraient demander au tribunal de préciser sur la dénonciation que les accusations ont été retirées ou que l’arrêt des procédures a été demandé compte tenu des mesures de rechange.
Les procureurs doivent décider s’il est approprié de demander à l’accusé de revenir devant la cour pour faire rapport de l’état d’avancement des mesures de rechange avant de procéder au retrait des accusations ou à la demande d’arrêt des procédures. S’ils décident qu’il n’est pas nécessaire de demander à l’accusé de revenir devant la cour pour faire rapport, les procureurs devraient retirer les accusations ou demander l’arrêt des procédures et les procureurs ne seront nullement tenus de veiller à l’exécution des mesures de rechange.
Les procureurs devraient s’assurer que les conditions de mise en liberté d’un accusé participant à un programme de déjudiciarisation soient modifiées au besoin, pour permettre de tirer pleinement parti du processus.
Lorsqu’un accusé ne complète pas les mesures de rechange dans le délai prescrit et est inculpé d’une nouvelle infraction, les procureurs peuvent envisager de rétablir les accusations ayant été traitées par des mesures de rechange. Toutefois, ils doivent tenir compte de l’intérêt public avant d’agir en ce sens et porter une attention particulière aux circonstances particulières pouvant rendre la poursuite inéquitable.
Les procureurs doivent toujours s’assurer de conserver un dossier écrit détaillé et de mettre à jour le dossier électronique.
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