3.10 Le choix et le nouveau choix
Guide du Service des poursuites pénales du Canada
Ligne directrice du directeur donnée en vertu de l’article 3(3)(c) de la Loi sur le directeur des poursuites pénales
Révisée le 25 mars 2022
Table des matières
- 1. Introduction
- 2. Choix de la couronne dans les cas d’infractions mixtes
- 3. Nouveau choix fait par l’accusé
- 4. Décision d’exiger un procès devant juge et jury
1. Introduction
La présente ligne directrice vise à orienter les procureurs en ce qui a trait aux pouvoirs discrétionnaires suivants en matière de poursuite :
- Dans les cas d’infractions mixtes, la décision de poursuivre par voie de procédure sommaire ou par voie de mise en accusation ;
- La décision de consentir au nouveau choix fait par un prévenu ;
- La décision d’exiger un procès devant jury en vertu de l’art. 568du Code criminel (Code).
Comme dans le cas de tout pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite, les décisions relatives aux choix et aux nouveaux choix doivent être prises en conformité avec l’obligation des procureurs d’agir de manière équitableNote de bas de page 1. Ces décisions ne doivent pas être une tentative de ce dernier d’obtenir un avantage tactique indu, ni donner cette impression.
Même si la Couronne n’est pas tenue par la loi de justifier ses choix ou son refus de consentir au nouveau choix envisagé par l’accusé, la nécessité de maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice pourrait exiger dans certains cas que celle-ci justifie sa décision. Par exemple, les procureurs devraient envisager de fournir une explication pour une décision précise concernant le choix et le nouveau choix lorsque le fondement n’est pas évident en soi, et que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que l’absence d’explication mène la cour ou les membres du public à tirer des conclusions attribuant des motifs erronés et inappropriés à l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites de la CouronneNote de bas de page 2. Avant de fournir une explication pour une telle décision, le procureur doit consulter le procureur fédéral en chef (PFC) ou son délégué et obtenir son approbation préalable. De plus, les procureurs devraient indiquer dans le dossier de poursuite le ou les facteurs précis qui ont influencé leur décision.
2. Choix de la couronne dans les cas d’infractions mixtes
Dans les cas d’infractions mixtes, la décision du mode de poursuite est à la discrétion des procureurs : soit la voie sommaire, soit la mise en accusationNote de bas de page 3. Ce pouvoir discrétionnaire donne aux procureurs la possibilité de tenir compte des faits particuliers de chaque affaire afin d’assurer que les intérêts de la justice, y compris l’intérêt que porte le public à l’application efficace du droit pénal, soient le mieux servis.
2.1 Énoncé de principe
En général, dans les cas d’infractions mixtes, la Couronne devrait décider de procéder par voie sommaire ou par mise en accusation avant qu’on ne demande à l’accusé d’enregistrer son plaidoyer.
Lorsqu’ils décident s’ils procéderont par voie sommaire ou par mise en accusationNote de bas de page 4, les procureurs doivent évaluer les circonstances entourant la perpétration de l’infraction et les antécédents du prévenu. Les facteurs suivants sont particulièrement pertinents à cet égard :
- La gravité de l’infraction à la lumière des faits reprochés, par exemple, dans les cas suivants :
- L’infraction a causé la mort ou des lésions corporelles graves ;
- L’infraction concerne un grand nombre de victimes ou a entraîné une perte financière importante ;
- Un tiers innocent a subi des pertes importantes du fait des actes du prévenu ou a agi en toute innocence en s’appuyant sur ses conseils ;
- L’accusé, ou une autre personne pour son compte, a tenté de falsifier des éléments de preuve importants ou de suborner des témoins ;
- L’accusé a utilisé l’intimidation pour obliger d’autres personnes à l’aider à commettre l’infraction ou à y consentir.
- L’importance du casier judiciaire de l’accusé ou des condamnations prononcées contre lui, le cas échéant, pour des infractions similaires.
- La question de savoir, dans le cas où l’accusé est reconnu coupable, si la fourchette des peines au niveau des infractions sommaires pourrait répondre adéquatement à l’objectif et aux principes de la détermination de la peine à l’égard de l’accusé et de l’infraction dont il est question Note de bas de page 5;
- Les répercussions que pourrait avoir le fait de témoigner à l’enquête préliminaire et au procès sur les témoins Note de bas de page 6;
- La fréquence de la commission de l’infraction dans la collectivité et la nécessité de créer un effet dissuasif ;
- Il est allégué que l’accusé est membre d’une organisation criminelle définie à l’art. 467.1(1) du Code ;
- L’accusé prétend être membre ou sympathisant d’une organisation criminelle ou d’une organisation dont les membres font usage de violence physique ou d’intimidation, ou porte les symboles d’une organisation criminelle ;
- Le fait qu’il serait dans l’intérêt public que le procès se déroule devant jury.
Lorsqu’une personne est accusée de plusieurs infractions découlant des mêmes faits, les procureurs devraient également opter pour le mode de poursuite qui permettra d’éviter plusieurs instances. Cette façon d’agir pourrait être avantageuse pour l’accusé en diminuant le nombre de comparutions devant le tribunal tout en servant les intérêts de l’administration de la justice. Cette approche sera bénéfique non seulement en première instance, mais également en appel.
2.2 Nouveau choix de la Couronne
Lorsque la Couronne décide initialement de procéder par mise en accusation, les procureurs peuvent normalement faire un nouveau choix afin de procéder par voie sommaire sans que l’accusé y consente, sauf si l’enquête préliminaire ou le procès a commencéNote de bas de page 7. Les nouveaux choix de la Couronne peuvent être utilisés, par exemple, à l’égard des ententes sur le plaidoyer de culpabilité. Les facteurs énoncés dans le paragraphe précédent s’appliquent aux nouveaux choix.
2.3 Procédures introduites par voie sommaire ou par mise en accusation après le délai de prescription de six mois
La Cour des poursuites sommaires a compétence, avec le consentement de la Couronne et de la défense aux termes de l’art. 786(2) du Code, à l’égard de poursuites par procédure sommaire qui sont prescritesNote de bas de page 8. Elle n’a pas compétence en l’absence de ce consentement. Si les procureurs optent pour la procédure sommaire après l’expiration du délai de prescription de six mois, tant les procureurs que l’accusé doivent déclarer expressément dans le dossier – là encore, avant que l’accusé indique s’il plaide coupable ou non coupable – qu’ils acceptent de recourir à la procédure sommaireNote de bas de page 9.
Le refus de l’accusé de consentir à la poursuite par procédure sommaire d’une infraction mixte introduite après l’expiration du délai de prescription a pour effet d’invalider le choix fait par la Couronne et la procédure qui en découleNote de bas de page 10. Cependant, la dénonciation demeure valide, et la Couronne peut toujours procéder par voie de mise en accusation, à moins que « la preuve révèle un abus de procédure découlant du caractère illégitime des motifs de la Couronne ou que soit causé à l’accusé un préjudice suffisant pour porter atteinte au sens du franc jeu et de la décence qu’a la sociétéNote de bas de page 11 ». Dans certaines circonstances, le choix de la Couronne peut être contesté au motif qu’il s’agit d’un abus de procédure, s’il ressort qu’il a été fait uniquement en vue de faire échec à la prescriptionNote de bas de page 12.
Lorsque les procureurs, après avoir examiné les facteurs mentionnés à la section 2.1 de la présente ligne directrice, choisiraient normalement d’utiliser la procédure sommaire, mais que la poursuite est prescrite et que l’accusé a refusé de donner son consentement pour que l’affaire soit instruite par procédure sommaire, ils ne doivent généralement pas poursuivre par voie de mise en accusation à moins que :
- Les circonstances particulières entourant l’infraction n’ont été connues que très peu de temps avant l’expiration du délai de prescription, ou tout juste après celle-ci ;
- L’accusé a contribué de façon importante au délai ;
- Malgré la diligence raisonnable dont l’organisme d’enquête a fait preuve, l’enquête s’est poursuivie au-delà du délai de prescription en raison de la complexité de l’affaire ;
- Le fait de ne pas intenter de poursuite déconsidère l’administration de la justice.
3. Nouveau choix fait par l’accusé
Lorsqu’une personne est accusée d’un acte criminel qui n’est pas mentionné à l’art. 469 ou à l’art. 553 du Code, elle peut choisir le mode de procès qu’elle préfère (procès devant un juge de la cour provinciale ou territoriale, procès devant un juge seul ou procès devant un juge et un jury). Après le choix initial, l’accusé peut demander de changer le mode de procès en faisant un nouveau choix conformément à l’art. 561 ou à l’art. 561.1 du Code (pour le Nunavut)Note de bas de page 13. Dans la plupart des cas, le nouveau choix est permis seulement avec le consentement de la Couronne.
Les dispositions du Code criminel autorisant un nouveau choix par l’accusé exigent que celui-ci donne un avis écrit de son nouveau choix à la Couronne. Elles commandent également que le consentement de la Couronne soit donné par écrit. Cependant, les art. 561 et 561.1 du Code ne prévoient pas les critères qui régissent l’exercice du pouvoir discrétionnaire des procureurs de consentir ou non au choix envisagé ni la manière dont ce pouvoir doit être exercé.
La présente ligne directrice s’applique aux nouveaux choix visés aux art. 473, 561 et 561.1 du Code qui exigent le consentement d’un procureur, du PFC ou de la directrice des poursuites pénales (DPP). Plus précisément, les nouveaux choix suivants peuvent être faits :
- Après avoir choisi un procès devant un juge seul ou devant un juge et un jury, l’accusé choisit un procès devant un juge de la cour provinciale (art. 561(1)a) et c) du Code) ;
- Après avoir choisi un procès devant un juge de la cour provinciale, l’accusé choisit un procès devant un juge seul ou devant un juge et un jury (art. 561(2) du Code) ;
- Après avoir choisi un procès devant un juge et un jury pour des infractions prévues à l’art. 469, l’accusé choisit un procès devant un juge seul (art. 473 du Code) ;
- L’accusé choisit un autre mode de procès devant la Cour de justice du Nunavut (art. 561.1(1)-(3) du Code).
3.1 Énoncé de principe
Même si la décision de consentir ou non à un nouveau choix doit être prise au cas par cas, les procureurs doivent généralement donner leur consentement à une demande de nouveau choix présentée en temps opportun par un accusé ou par son avocat en tenant toutefois compte des facteurs suivants, dont certains pourraient être déterminants :
- Le moment où la demande de nouveau choix est présentée Note de bas de page 14;
- Les répercussions d’un nouveau choix sur la bonne administration de la justice Note de bas de page 15;
- Les raisons du nouveau choix Note de bas de page 16;
- La question de savoir si le nouveau choix envisagé pourrait entraîner des délais et, en conséquence, une atteinte au droit garanti à l’art. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés ;
- Le fait que l’accusé a déjà fait un nouveau choix dans la même affaire ;
- Les inconvénients qui pourraient résulter du nouveau choix pour le tribunal, y compris pour les jurés éventuels et les témoins ;
- La complexité des questions de droit en cause ;
- Le fait que l’intérêt public serait bien servi si le procès avait lieu devant jury.
Il faut garder à l’esprit que les intérêts de l’accusé et ceux du procureur général ne sont pas les mêmes en ce qui a trait au nouveau choix du mode de procès. L’accusé a le droit de fonder sa décision de procéder à un nouveau choix sur des facteurs purement tactiques. Les procureurs ne peuvent exercer leur pouvoir discrétionnaire pour des raisons tactiques. Ils doivent plutôt tenir compte d’un éventail beaucoup plus large de facteurs, notamment des facteurs juridiques, pratiques et éthiques.
Si la Couronne n’a pas une conduite qui constitue un abus de procédure (motifs arbitraires, capricieux ou inappropriés), le tribunal n’a pas le pouvoir de passer outre à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de celle-ci de ne pas consentirNote de bas de page 17.
4. Décision d’exiger un procès devant juge et jury
4.1 Énoncé de principe
Aux termes de l’art. 568 du CodeNote de bas de page 18, la DPPNote de bas de page 19 peut exiger qu’un accusé soit jugé par un tribunal composé d’un juge et d’un jury, peu importe le choix ou nouveau choix que l’accusé avait fait. L’infraction reprochée doit cependant être punissable d’un emprisonnement de plus de cinq ans.
Un procès devant juge et jury en vertu de l’art. 568 du Code ne sera exigé que lorsqu’il est dans l’intérêt public de le faire. L’exigence d’un procès devant juge et jury sera justifiée notamment dans les cas suivants :
- Un intervenant de l’administration de la justice, notamment un policier, un avocat ou un juge, est accusé d’une infraction grave. Il importe alors de veiller à ce que le public ait et continue d’avoir confiance dans le système de justice pénale ;
- Dans les affaires où des normes sociales sont en cause ou lorsque la culpabilité ou l’innocence de l’accusé revêt une importance particulière pour le public ;
- Lorsque des accusés poursuivis conjointement choisissent des modes de procès différents et que le juge de la cour provinciale décide de ne pas exercer le pouvoir prévu à l’art. 567 du Code de refuser d’enregistrer le choix d’un prévenu d’être jugé par un tribunal qui n’est pas composé d’un juge et d’un jury.
Dans tous les cas, la décision d’exercer le pouvoir conféré par l’art. 568 du Code doit être prise personnellement par la DPP, sur l’avis d’un directeur adjoint des poursuites pénales (DAPP) et du PFC.
4.2 Procédure
Lorsque les procureurs présentent une demande d’approbation auprès de la DPP aux termes de l’art. 568 du Code, ils doivent en règle générale en aviser l’accusé ou son avocat. Cette demande doit par ailleurs être présentée le plus tôt possible lors des premières étapes de la procédure.
Les procureurs qui entendent présenter une demande d’approbation auprès de la DPP doivent :
- Informer le procureur fédéral en chef (PFC) ou le procureur fédéral en chef adjoint (PFCA).
- Rédiger une note de service comprenant :
- Un bref exposé des faits démontrant qu’il existe une probabilité raisonnable de condamnation et que l’intérêt public serait mieux servi par la tenue d’une poursuite. S’il y a plusieurs accusés, l’exposé des faits doit établir clairement qu’il existe des éléments de preuve suffisants à l’égard de chacun d’eux. Celui-ci doit également mentionner :
- Le nom de la personne accusée ;
- Sa citoyenneté, si la personne n’est pas canadienne ;
- Les accusations portées contre elle ;
- Les éléments de preuve recueillis ;
- Un dossier historique et procédural de l’affaire ;
- Les observations de l’avocat de la défense après qu’il a été avisé de la présentation d’une demande d’approbation aux termes de l’art. 568 du Code ;
- La date à laquelle la décision au titre de l’art. 568 du Code doit être prise.
- Une analyse faisant état :
- Des points forts et des points faibles de l’affaire ;
- De toute question de droit importante qui pourrait se poser et de toute question d’importance particulière pour l’intérêt public ;
- Des raisons pour lesquelles un procès devant juge et jury servirait l’intérêt public ;
- Des facteurs énoncés dans la présente ligne directrice, notamment une évaluation objective et motivée des facteurs tant favorables que défavorables à un procès devant juge et jury.
- Une copie du plan de poursuite approuvée, le cas échéant.
- Une annexe contenant une mise en accusation faisant état des chefs d’accusation pour lesquels un procès devant juge et jury est demandé et se terminant par la formulation suivante :
- Par les présentes, j’ordonne que les accusés suivants soient jugés par un tribunal composé d’un juge et d’un jury au titre de l’article 568 du Code criminel.
- Fait à Ottawa (Ontario), ce _____ jour de _____ , _____ .
- La directrice des poursuites pénales et sous-procureure générale du Canada
- Un bref exposé des faits démontrant qu’il existe une probabilité raisonnable de condamnation et que l’intérêt public serait mieux servi par la tenue d’une poursuite. S’il y a plusieurs accusés, l’exposé des faits doit établir clairement qu’il existe des éléments de preuve suffisants à l’égard de chacun d’eux. Celui-ci doit également mentionner :
- Communiquer cette note au PFC ou au PFCA.
Le PFC ou le PFCA :
- Informe le directeur adjoint des poursuites pénales (DAPP) de son intention d’obtenir l’approbation de la DPP au titre de l’art. 568 du Code.
- Évalue la note de service préparée par les procureurs. S’il est convaincu qu’elle satisfait aux critères et que la demande visant un procès devant juge et jury aux termes de l’art. 568 du Code est appropriée, il l’approuve et la soumet au DAPP.
Le DAPP :
- Évalue la note de service et procède à une évaluation objective de la demande. À ce titre, le DAPP exerce une fonction d’analyse critique.
- Indique au PFC ou au PFCA qu’aucune recommandation ne sera transmise à la DPP pour la tenue d’un procès devant juge et jury en application de l’art. 568 du Code, s’il est d’avis que celle-ci n’est pas appropriée en l’occurrence.
- Approuve la recommandation et la soumet à la DPP s’il est d’avis que la demande est appropriée.
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