5.1 La sécurité nationale
Guide du Service des poursuites pénales du Canada
Ligne directrice de la directrice donnée en vertu de l’article 3(3)(c) de la Loi sur le directeur des poursuites pénales
Révisée le 22 juin 2021
Table des matières
- 1. Introduction
- 2. Avis juridiques préinculpatoires
- 3. Début des procédures
- 4. Gestion des poursuites en matière de sécurité nationale
- 5. Détermination de la peine
1. Introduction
Les poursuites en matière de sécurité nationale se concentrent sur la sécurité de la société canadienne. Cette notion de sécurité comprend plusieurs aspects. L’aspect central est de protéger la sécurité physique de la population canadienne. Elle comprend aussi la protection du bien-être de la population canadienne, tant au pays qu’à l’étranger. La protection des droits et libertés fondamentaux est inhérente à ce bien-être. Un autre aspect de cette notion de sécurité est la préservation des institutions publiques de la société canadienne.
Les poursuites en matière de sécurité nationale ont une importance tant nationale qu’internationale, qu’elles touchent au terrorisme, à l’espionnage ou encore aux crimes de guerre ou contre l’humanité. Elles soulèvent régulièrement des questions délicates liées aux relations internationales, à la défense nationale et la sécurité nationale, ainsi qu’à des renseignements liés à ces intérêts.
Aux fins de la présente ligne directrice, les poursuites à l’égard des infractions suivantes sont considérées comme des poursuites en matière de sécurité nationale :
- Les infractions de terrorisme au sens de l’art. 2 du Code criminel, notamment les infractions en vertu de la Partie II.1 du Code criminel, et toute forme inchoative de ces infractions ;
- Les infractions définies à l’art. 2 de la Loi sur les infractions en matière de sécuritéNote de bas de page 1;
- Les attentats à la bombe au sens de l’art. 431.2 du Code criminel ;
- Les infractions visant les personnes jouissant d’une protection internationale ou les membres du personnel des Nations Unies ou du personnel associéNote de bas de page 2;
- Les infractions comprises au paragraphe 7(7) du Code criminel qui visent des fonctionnaires étrangers ou des chefs d’État ;
- Les infractions à la Loi sur les Nations UniesNote de bas de page 3;
- Les infractions à la Loi sur la protection de l’informationNote de bas de page 4;
- L’infraction prévue à l’art. 18 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécuritéNote de bas de page 5;
- Les infractions à la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerreNote de bas de page 6;
- Les infractions portant sur la prolifération ou l’importation, l’exportation ou la vente illégale de matières nucléaires ;
- Les infractions visées par la Loi sur la production de défenseNote de bas de page 7.
1.1 Infractions de terrorisme
Le préambule de la Loi antiterroriste souligne qu’une réponse efficace au terrorisme va de pair avec le respect des droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. En effet, la protection de l’exercice de la liberté d’expression, de religion et des activités politiques témoigne de la dimension existentielle du préjudice causé par toute personne qui tente de justifier l’usage de la violence pour promouvoir leurs croyances politiques, idéologiques ou religieuses.
Le Parlement a choisi de traiter les infractions de terrorisme comme des actes criminelsNote de bas de page 8. La règle de la primauté du droit de même que les droits et libertés garantis par la Charte s’appliquent à ces infractions. Ceux-ci régissent les procédures d’enquête de la police ainsi que les droits des accusés devant les tribunaux au cours du procès, et en cas de déclaration de culpabilité, au moment de la détermination de la peine. Les infractions de terrorisme font l’objet de poursuites devant les cours criminelles ordinaires. La Couronne doit prouver les infractions en satisfaisant la même norme de preuve applicable aux autres crimes, soit une preuve hors de tout doute raisonnable sur la base d’éléments de preuve admissibles. Les accusés jouissent des mêmes droits à l’égard du choix du mode de procès, notamment d’avoir un procès devant un juge et un jury, comme pour les autres crimes.
Les actes de terrorisme impliquent souvent des attaques de grande envergure ciblant les victimes sans distinction. La perpétration d’infractions de terrorisme peut se planifier à long ou court terme. Les auteurs sont souvent, mais pas toujours, motivés par des questions non financières et sont disposés à subir des conséquences personnelles pour réaliser leur objectif. La planification des actes peut être élaborée en collaboration avec d’autres personnes qui partagent les mêmes buts, objectifs ou causes politiques, idéologiques ou religieuses, bien que ce ne soit pas toujours le cas. Les personnes prenant part à ces infractions peuvent jouer des rôles différents ― leur participation peut varier tout comme leur connaissance des plans et des cibles. Les cibles d’activités terroristes peuvent être choisies en fonction de circonstances ou de priorités philosophiques changeantes. Toute attaque ou menace contre des institutions publiques ou des processus de nature politique, économique, sociale et militaire, ainsi que ceux permettant au Canada d’intervenir sur le plan international, constitue une menace contre la société canadienne dans son ensemble. Celles-ci visent à compromettre les droits et les principes démocratiques dont bénéficie la population canadienne à travers ses institutions.
L’objectif des outils législatifs, comme les dispositions en matière de terrorisme du Code criminel, consiste à interrompre les infractions au début de leur planification et de leur préparation. Les conséquences des attaques terroristes peuvent être désastreuses. Elles nécessitent une intervention rapide et décisive, mais elles peuvent toutefois être difficiles à évaluer compte tenu de la nature des activités.
Certaines activités aux premières étapes de la préparation peuvent être sujettes à de nombreuses interprétations. Certains buts peuvent être difficiles à dissocier de buts anodins en l’absence d’une indication claire des objectifs, des buts, des causes ou des intentions des intéressés. D’autres peuvent être étroitement liés à l’exercice de droits et libertés fondamentaux, notamment la liberté d’expression, d’association, d’activisme politique ou de religion. Les infractions de terrorisme ne criminalisent pas le fait d’avoir des croyances, leur diffusion ou leur préconisation, même si celles-ci peuvent s’avérer abjectes, disgracieuses, antisociales ou anarchiques. Une sanction pénale ne peut être imposée que si ces croyances sont assorties d’un acte criminel (actus reus) et d’une intention coupable (mens rea).
2. Avis juridiques préinculpatoires
Certains procureurs peuvent être appelés à fournir des avis juridiques préinculpatoires sur des questions de sécurité nationale. En pareil cas, ceux-ci doivent informer leur procureur fédéral en chef (PFC) et le coordonnateur national des poursuites en matière de terrorisme, même si l’enquête n’en est qu’à ses débuts.
Lorsqu’ils fournissent des avis juridiques, les procureurs doivent prêter une attention particulière à la protection des renseignements en vertu des articles 37, 38 et 39 de la Loi sur la preuve au Canada (LPC). En ce qui concerne les demandes d’autorisations judiciaires, les renseignements sensibles ne pouvant être communiqués doivent être gérés pour permettre de traiter les questions de confidentialité efficacement dans les procédures judiciaires subséquentes. Les procureurs doivent également se rappeler que certains renseignements sensibles partagés avec des restrictions ne peuvent être divulgués dans aucune circonstance, y compris dans un affidavit.
3. Début des procédures
3.1 La décision d’intenter une poursuite dans le contexte de sécurité nationale
Les poursuites en matière de sécurité nationale doivent respecter la norme d’approbation des accusations énoncée dans la ligne directrice du Guide du SPPC intitulée : « 2.3 La décision d’intenter des poursuites ». Le seuil applicable à l’engagement d’une poursuite s’applique aux infractions en matière de sécurité nationale sans modification. Plus précisément, le critère de l’intérêt public ne peut pas avoir d’impact sur le caractère suffisant de la preuve. Lorsque le seuil de preuve est atteint, une poursuite est généralement dans l’intérêt public étant donné la gravité inhérente des poursuites en matière de sécurité nationale. Cependant, chaque cas doit être analysé de façon individuelle en fonction des facteurs indiqués dans la ligne directrice du Guide du SPPC intitulée : « 2.3 La décision d’intenter des poursuites ».
3.2 Choix des accusations à porter
Une des questions courantes dans les poursuites en matière de sécurité nationale porte sur le choix des accusations à porter. Cette décision tient souvent compte de quatre facteurs : la sensibilité des renseignements, l’évaluation de la preuve compte tenu des droits garantis par la Charte, l’intérêt public et les questions de compétence juridictionnelle.
3.2.1 Renseignements sensibles
Les poursuites en matière de sécurité nationale reposent généralement sur des renseignements sensibles dont la divulgation est susceptible de porter préjudice à la sécurité nationale, aux relations internationales ou à la défense nationale, ou révélerait des renseignements confidentiels du Cabinet. Lors de l’évaluation de la perspective raisonnable de condamnation, les procureurs doivent mener de vastes consultations auprès des intervenants du gouvernement du Canada, notamment le Service canadien du renseignement de sécurité, la Gendarmerie royale du Canada, Affaires mondiales Canada, le ministère de la Défense nationale ainsi que le Groupe de la sécurité nationale du ministère de la Justice du Canada.
Ces consultations sont nécessaires afin de confirmer que les éléments de preuve peuvent être utilisés et d’établir une stratégie de litige quant au moment, à l’ampleur et à la méthode de divulgation. Les procureurs doivent tenir compte non seulement de la divulgation des renseignements qui seront produits en preuve, mais aussi de ceux qui seront en cause dans le cadre de demandes préalables au procès contestant les mesures d’enquête comme les mandats et autres ordonnances judiciaires. Les procureurs doivent par ailleurs considérer la divulgation des renseignements liés à l’ouverture de l’enquête criminelle et aux activités entreprises avant celle-ci ou en parallèle. Il pourrait être impossible de parvenir à une décision définitive en matière de divulgation, puisque certains éléments nécessiteront des consultations auprès des ministères et des organismes chargés de la protection des renseignements ou d’autres procédures judiciaires, comme celles prévues à l’art. 38 de la LPC.
3.2.2 Évaluation de la preuve compte tenu des droits garantis par la Charte
Les procureurs doivent évaluer la preuve liée à la perpétration d’une infraction de terrorisme compte tenu des droits et libertés garantis par la Charte. L’objet politique, idéologique ou religieux d’un acte constitue généralement un élément de l’infraction de terrorisme. Aux termes de l’art. 83.01 du Code criminel, on entend par « activité terroriste » soit une infraction visée par les conventions et protocoles énumérés, soit une action ou omission commise au nom, exclusivement ou non, d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique. Les conditions de la deuxième définition sont remplies si l’activité est commise, exclusivement ou non, au nom d’un but religieux, idéologique ou politique. Même si la motivation n’a pas à être l’objectif unique ou principal de l’activité, elle doit être néanmoins assez appréciable. La preuve permettra de déterminer si le but est de nature politique, idéologique ou religieuse, ou une combinaison d’au moins l’un de ces facteurs. Tenter de préciser comment ces buts sont combinés dans les faits peut s’avérer impossible.
Il faut accorder une attention toute particulière à la manière de traiter les buts de nature religieuse, compte tenu de la possibilité que des préjugés et des stéréotypes se manifestent. Les procureurs ne doivent pas hésiter à vérifier le but de nature religieuse d’une action. Bien qu’il serait commode de rattacher toutes les croyances, objectifs ou buts à une nature politique ou idéologique plutôt que religieuse, il faut partir du principe que le législateur connaissait le traitement jurisprudentiel de la religion lorsqu’il a ajouté la composante religieuse à la définition. Plus précisément, il n’y a pas lieu de circonscrire les croyances religieuses à des manifestations orthodoxes générales ou établies d’un système de croyances religieuses précis. Bien que le terme « religieux » ne soit pas défini dans le Code criminel, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur cette question de la manière suivante dans le contexte de l’exercice de la liberté de religion :
Pour résumer, la jurisprudence de notre Cour et les principes de base de la liberté de religion étayent la thèse selon laquelle la liberté de religion s’entend de la liberté de se livrer à des pratiques et d’entretenir des croyances ayant un lien avec une religion, pratiques et croyances que l’intéressé exerce ou manifeste sincèrement, selon le cas, dans le but de communiquer avec une entité divine ou dans le cadre de sa foi spirituelle, indépendamment de la question de savoir si la pratique ou la croyance est prescrite par un dogme religieux officiel ou conforme à la position de représentants religieuxNote de bas de page 9.
La Cour suprême met donc l’accent sur les choix personnels de chacun à l’égard des croyances religieuses. Ainsi, les revendications religieuses peuvent avoir très peu de liens avec un dogme religieux officiel ou la position de représentants religieux. La terminologie employée pour décrire une motivation religieuse doit tenir compte des effets imprévus qui pourraient être causés par une description trop générale qui utilise des termes référant à des croyances plus larges et non violentes.
Les procureurs doivent toutefois tenir compte de l’expression légitime de croyances lorsqu’ils évaluent la preuve concernant le but de nature politique, idéologique ou religieuse d’une action. Les actes de violences incluant les menaces de violence sont clairement exclus du champ d’application de l’article 2 de la Charte.
Les procureurs doivent être guidés par la disposition interprétative adoptée au moment du passage des modifications à la Partie II.1 du Code criminel dans la Loi antiterroriste, 2001. Plus précisément, l’art. 83.01(1.1) énonce ce qui suit :
(1.1) Il est entendu que l’expression d’une pensée, d’une croyance ou d’une opinion de nature politique, religieuse ou idéologique n’est visée à l’alinéa b) de la définition de « activité terroriste » au paragraphe (1) que si elle constitue un acte ― action ou omission ― répondant aux critères de cet alinéa.
Le préambule de la Loi antiterroriste précise que les dispositions doivent être interprétées d’une manière qui continue de « promouvoir et de respecter les droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés ». Particulièrement importantes sont les libertés garanties par l’art. 2 de la Charte, soit :
a) la liberté de conscience et de religion ;
b) la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication ;
c) la liberté de réunion pacifique ; et
d) la liberté d’association.
Les procureurs doivent s’efforcer de tenir compte de l’exercice légitime et éventuel de ces droits, notamment les pensées, les croyances ou les opinions adoptées ou exprimées par l’accusé ou les personnes qui auraient des liens avec lui. Toute description ou qualification de la composante de motivation liée à une infraction de terrorisme peut par inadvertance donner lieu à une association implicite avec une école de pensée ou une croyance établie de nature idéologique, politique ou religieuse. Une telle association peut avoir des répercussions négatives sur les personnes qui partagent la motivation sous-jacente, mais qui condamnent tout acte criminel et toute tentative de les justifier.
3.2.3 Intérêt public
Les procureurs doivent considérer l’intérêt public dans le choix des accusations à porter. Le choix des accusations est parfois binaire : les poursuites peuvent être intentées avec une optique de sécurité nationale ou sans une telle optique, en appliquant d’autres infractions du Code criminel. Lorsqu’ils font face à ce choix, les procureurs doivent déterminer quelles infractions devraient faire l’objet d’une poursuite sur la base de l’intérêt public. Outre le fait de considérer les infractions les plus clairement étayées par les éléments de preuve admissibles, les procureurs doivent également tenir compte des répercussions éventuelles des accusations portées sur la sécurité nationale, les relations internationales et la défense nationale. Ceci inclut l’évaluation de l’impact négatif que pourrait avoir la divulgation requise dans le cadre de la poursuite sur ces intérêts.
Les procureurs doivent aussi examiner quelles accusations reflètent la nature et la sévérité de la conduite, la dénonciation revêtant une importance toute particulière à l’égard des infractions de terrorisme. Dans le Rapport sur la tragédie d’Air India, l’honorable John Major résume les caractéristiques qui distinguent le terrorisme des autres crimes. Il a noté que « [l]e terrorisme est une menace à l’existence de la société canadienne beaucoup plus grave que le meurtre, les voies de fait, le vol et les autres crimes. Les terroristes rejettent les fondements mêmes de la société canadienne et les mettent en péril »Note de bas de page 10. La Cour suprême du Canada a affirmé que la dénonciation et la dissuasion, tant sur le plan individuel que général, seront généralement primordiales lors de l’audience sur la détermination de la peine, compte tenu de la gravité des infractions de terrorisme. De plus, il faut dénoncer toute tentative visant à justifier ou légitimer des actes de violence sous prétexte d’idées politiques, idéologiques ou religieuses. Autrement dit, les procureurs peuvent préciser que les croyances ou les buts ne sont pas en soi de nature criminelle, même s’ils sont abjects, mais que les actes sous-jacents sont de nature criminelle et ne se justifient pas en raison d’un lien avec une croyance ou un but de nature politique, idéologique ou religieuse.
Par ailleurs, les procureurs devraient évaluer si le fait d’inculper une personne avec une infraction de terrorisme plutôt qu’une autre infraction au Code criminel serait contre-productif. Les procureurs doivent déterminer si une infraction de terrorisme ne stigmatiserait pas indûment et inutilement l’accusé d’une manière disproportionnée par rapport à la nature de la conduite, au préjudice causé et aux besoins de dissuasion et de dénonciation. Il faut également se demander si le fait d’inculper une personne avec une infraction de terrorisme ne causerait pas du tort à sa famille et leur communauté, soit pendant l’enquête ou pendant le processus judiciaire, notamment par le biais d’une stigmatisation par association. La nature de la preuve exigée pourrait s’avérer pertinente à ce sujet. Les procureurs doivent déterminer si l’infraction reprochée peut être prouvée d’une manière qui ne victimise pas davantage les membres de la famille de l’accusé ou d’une manière qui préserve les relations familiales et communautaires, ce qui facilitera la réinsertion et la réadaptation de l’accusé une fois sa peine purgée.
3.2.4 Questions de compétence juridictionnelle
Le choix des accusations peut soulever des questions de compétence juridictionnelle entre le procureur général du Canada et les procureurs généraux des provinces. La compétence du procureur général du Canada est vaste à l’égard de la poursuite des infractions en matière de sécurité nationale. Au titre de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, le procureur général du Canada peut intenter des poursuites à l’égard d’une infraction dans les cas suivants :
a) l’infraction présumée découle d’activités constituant des menaces envers la sécurité du Canada au sens de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité,
b) la victime de l’infraction présumée est une personne jouissant d’une protection internationale au sens de l’art. 2 du Code criminelNote de bas de page 11.
De surcroît, au titre de l’art. 2.3 du Code criminel, le procureur général du Canada a compétence concurrente relativement à certaines infractions du Code criminel, notamment les infractions de terrorisme.
Toutefois, lorsque la conduite en question constituerait une infraction faisant normalement ou exclusivement l’objet de poursuites par le procureur général de la province, il faudra déterminer s’il convient d’invoquer la compétence du procureur général du Canada. Par exemple, ce dernier a compétence pour poursuivre les infractions de terrorisme, c’est-à-dire non seulement celles visées à la Partie II.1 du Code criminel, mais également tout autre acte criminel susceptible de constituer une activité terroriste. En ce sens, placer une bombe dans un lieu public peut non seulement constituer une infraction aux termes de l’art. 431.2 du Code criminel, mais aussi une infraction de terrorisme.
Les procureurs doivent déterminer s’ils devraient demander la compétence par l’entremise d’une délégation du procureur général de la province. Les infractions de terrorisme peuvent demander la preuve d’éléments additionnels qui ne seraient pas requis pour établir la culpabilité pour les autres infractions du Code criminel. Les procureurs doivent déterminer si la preuve prouve ces autres éléments additionnels de toute façon, même en l’absence d’une allégation selon laquelle la conduite constituait une infraction de terrorisme. Le cas échéant, les procureurs peuvent évaluer si une délégation du procureur général de la province serait appropriée. Une telle délégation pourrait également être appropriée lorsque le SPPC intente déjà des poursuites à l’égard d’autres accusations relevant de la compétence du procureur général du Canada ou lorsque les éléments de preuve contiennent des renseignements sensibles devant être traités par des procureurs ayant des liens établis avec le gouvernement fédéral et possédant une cote de sécurité. Il existe des arrangements entre le SPPC et les services de poursuite provinciaux visant à déterminer si une affaire relève de la responsabilité du procureur général du Canada ou de celle du procureur général d’une province. Ces arrangements prévoient une communication entre les procureurs généraux concernés tôt dans le processus. Toute question concernant l’application des arrangements doit être soulevée auprès du coordonnateur national des poursuites en matière de terrorisme.
3.3 Procédure pour obtenir le consentement d’intenter des poursuites
Le consentement du procureur général est requis pour intenter la plupart des poursuites en matière de sécurité nationale, comme celles en matière de terrorismeNote de bas de page 12. Ce consentement peut être accordé par la directrice des poursuites pénales (DPP) ou l’un des directeurs adjoints des poursuites pénales (DAPP)Note de bas de page 13.
Les demandes de consentement doivent être présentées par le représentant principal approprié de l’administration centrale de l’organisme d’application de la loi concerné, et doivent être adressées à l’un des DAPP. Les procureurs doivent informer leur PFC s’ils anticipent qu’un service de police qu’ils conseillent s’apprête à présenter une demande de consentement d’intenter une poursuite. Avec l’approbation du PFC, ils doivent également informer le coordonnateur national des poursuites en matière de terrorisme.
Lorsqu’une demande est présentée, l’administration centrale du SPPC demandera à la région d’où provient l’enquête de formuler une recommandation. Les procureurs régionaux doivent s’assurer d’avoir suffisamment de renseignements, y compris la documentation du dossier d’enquête, pour évaluer la demande en fonction de la norme applicable. Les procureurs doivent présenter leur évaluation en préparant une note de service qui comprend :
- Les noms des accusés, les accusations et, le cas échéant, la date à laquelle le consentement est requis par le service de police ;
- Une description concise et une analyse des éléments de preuve disponibles, une explication de la façon dont les éléments de preuve mènent à une probabilité raisonnable de condamnation à l’égard de chaque accusé pour chaque accusation, et expliquant pourquoi il est dans l’intérêt public de poursuivre. La note devrait souligner les points forts et faibles du dossier, ainsi que toute question juridique importante qui pourrait se poser, et toute question d’une importance particulière pour l’évaluation de l’intérêt public ;
- Une évaluation de l’étendue du risque que la poursuite exige la divulgation de renseignements potentiellement préjudiciable à la sécurité nationale, aux relations internationales ou à la défense nationale ;
- Une recommandation indiquant si la demande devrait être acceptée ;
- Les copies des déclarations des témoins ou d’autres éléments de preuve clé qui sont essentiels à l’évaluation de la solidité du dossier de la poursuite ;
- La dénonciation contenant toutes les accusations.
Le PFC doit examiner la note et, s’il juge qu’elle tient compte adéquatement des facteurs indiqués ci-dessus, l’envoie à l’un des DAPP et indique qu’il approuve la recommandation. Le DAPP effectuera une évaluation objective de la demande. Si le consentement est accordé, le procureur qui a fait la demande doit préparer une note d’information au procureur général conformément à l’art 13 de la Loi sur le DPPNote de bas de page 14. Le procureur doit obtenir le consentement du DAPP s’il conclut, après un examen complet de la preuve, que la totalité ou une partie des accusations devraient être retirées, réduites ou faire l’objet d’un arrêt des procédures.
Des communications moins formelles peuvent être appropriées dans les cas où une arrestation a eu lieu ou est imminente, et que le temps ne permet pas la rédaction d’une note de service structurée. Ceci peut comprendre une combinaison de documents écrits et d’exposés oraux supplémentaires. Il se peut qu’en cas d’urgence extrême et imprévue, il soit impossible de rédiger des documents écrits, auquel cas le tout pourrait être fait de façon orale. Toutefois, l’abrègement doit en être un de forme et non de substance. Dans tous les cas, le procureur de la Couronne chargé de l’examen et le PFC (ou son représentant) doivent fournir leur évaluation éclairée du dossier. Il appartient au procureur chargé de l’examen de consigner par écrit l’analyse et les renseignements compris dans l’exposé oral dès que possible.
Lorsqu’une demande est présentée relativement à des accusations criminelles, mais qu’il n’y a pas de probabilité raisonnable de déclaration de culpabilité et que par conséquent le seuil pour intenter une poursuite n’est pas atteint, le procureur chargé de l’examen devrait déterminer si le seuil pour un engagement en vertu des articles 810.011 ou 83.3 serait toutefois atteintNote de bas de page 15. Dans un tel cas, le procureur doit informer le service de police afin que celui-ci puisse déterminer s’il souhaite demander le consentement du procureur général pour un engagement de vertu de l’une de ces dispositions.
Lorsqu’un service de police présente une demande visant un engagement en vertu des articles 810.011 ou 83.3 du Code criminel, le procureur chargé de l’examen doit suivre les mêmes procédures indiquées ci-dessus et déterminer s’il y a une probabilité raisonnable d’atteindre le seuil requis pour un engagement en vertu de l’une de ces dispositions.
4. Gestion des poursuites en matière de sécurité nationale
Toutes les poursuites en matière de sécurité nationale sont présumées être des causes majeures et les politiques comprises dans la ligne directrice du Guide du SPPC intitulée « 3.1 La gestion des causes majeures » s’appliquent à ces poursuites. De plus, les poursuites en matière de sécurité nationale doivent respecter les obligations de reddition de comptes et de tenue des dossiers suivantes.
Les procureurs doivent s’assurer d’informer leur PFC, le coordonnateur national des poursuites en matière de terrorisme ainsi que l’un des DAPP de l’évolution des dossiers en matière de sécurité nationale. Ils doivent aviser leur PFC et le coordonnateur national des poursuites en matière de terrorisme chaque fois qu’ils doivent fournir des avis juridiques préinculpatoires. Les procureurs doivent informer leur PFC et le DAPP par l’entremise du coordonnateur national des poursuites en matière de terrorisme de l’évolution du dossier conformément aux processus régionaux. Il est important de tenir le coordonnateur national des poursuites en matière de terrorisme au courant de l’évolution d’un dossier, notamment pour permettre au DAPP de déterminer si un dossier est près de faire l’objet d’une demande de consentement. Plus précisément, le procureur doit consulter le coordonnateur national des poursuites en matière de terrorisme avant de fournir des conseils à un organisme d’application de la loi indiquant que le seuil pour le dépôt d’accusations n’a pas été atteint. Une fois le procès terminé, le PFC doit également aviser le DAPP de l’issue de la poursuite.
Le procureur doit également préparer des notes d’information en vertu de l’art. 13 à différentes étapes de la poursuite pour permettre au procureur général d’exercer ses attributions aux termes de la Loi sur le DPP. Plus précisément, le procureur doit préparer une note d’information en vertu de l’art. 13 lorsque :
- Le consentement pour engager des poursuites a été accordé ;
- Le procureur conclut que la totalité ou une partie des accusations devrait être retirée, réduite ou faire l’objet d’arrêt des procédures, et a consulté le DAPP ;
- La cour ordonne la libération de l’accusé à l’issue d’une enquête préliminaire ou ordonne l’arrêt des procédures ;
- L’accusé est acquitté ou condamné ;
- La cour impose une peine ;
- Des questions importantes d’intérêt général sont soulevées, comme des questions constitutionnelles importantes.
Les renseignements sur les poursuites en matière de sécurité nationale doivent être consignés de manière appropriée. Chaque bureau doit maintenir des dossiers sur les demandes d’intenter des poursuites présentées par la police concernant des accusations en matière de terrorisme ou des engagements en vertu de l’art. 810.011 ou de l’art. 83.3 du Code criminel, notamment la date à laquelle la demande a été présentée. Le procureur devrait également demander que la police indique à quelle date une décision doit être prise d’un point de vue opérationnel et verser ces renseignements au dossier. Chaque bureau devrait également maintenir des dossiers sur les demandes de prestation d’avis juridiques présentées par la police concernant les seuils applicables, lorsque la police ne demande pas un consentement à intenter une poursuite, mais plutôt des commentaires en vue de déterminer si le seuil est atteint. Finalement, il faut indiquer au dossier si l’information fournie par la police était suffisante pour permettre aux procureurs de procéder à une évaluation ainsi que toutes les mesures qui ont été prises en réponse à la demande.
5. Détermination de la peine
Comme dans toutes les affaires criminelles, la détermination de la peine est un processus très personnalisé qui dépend des faits particuliers en l’espèce et de la situation du contrevenant. Les peines en matière de sécurité nationale doivent être imposées en fonction des mêmes principes de détermination de la peine que les autres crimes.
Les poursuites en matière de sécurité nationale visent un vaste éventail de comportements, ce que la Cour suprême du Canada a reconnu dans R c Khawaja à l’égard des infractions de terrorisme. La Cour suprême a également noté, par contre, que la dénonciation et la dissuasion, tant sur le plan individuel que général, seront généralement primordiales lors de l’audience sur la détermination de la peine étant donné la gravité des infractions en sécurité nationale, notamment les infractions en matière de terrorismeNote de bas de page 16.
La détermination de la peine demeure un exercice personnalisé qui tient compte de la situation du contrevenant et de toutes les circonstances entourant l’infraction. En évaluant les facteurs individuels d’un dossier, le procureur devrait avoir à l’esprit que les tribunaux ont indiqué qu’une peine d’emprisonnement à perpétuité ou de plus de 20 ans d’emprisonnement sera généralement appropriée lorsque les contrevenants ont sciemment pris part à une activité terroriste visant à tuer des êtres humains innocents au hasard ou qui est susceptible de donner lieu à un tel résultat. Il peut y avoir des situations exceptionnelles, comme la collaboration du contrevenant avec les autorités pour traduire d’autres terroristes en justice, qui peuvent justifier que l’on s’écarte de la fourchette ordinaire de peines.
5.1 Peines consécutives
Les infractions de terrorisme peuvent nécessiter l’imposition de peines consécutives. L’art. 83.26 du Code criminel prévoit que la peine infligée à une personne pour une infraction prévue à l’un des art. 83.02 à 83.04, et 83.18 à 83.23, est purgée consécutivement à toute autre peine sanctionnant une autre infraction basée sur les mêmes faits, sauf si la peine en est une d’emprisonnement à perpétuité. Dans l’affaire R c Khawaja, la Cour suprême a conclu que l’exigence prévue à l’art 83.26 n’est pas incompatible avec le principe de totalité. L’idée que des peines de plus de 20 ans d’emprisonnement peuvent être imposées plus souvent dans les dossiers de terrorisme reflète le caractère particulièrement grave des infractions de terrorisme et de la culpabilité morale de leurs auteursNote de bas de page 17.
5.2 Retard de l’admissibilité à la libération conditionnelle
Les tribunaux ont le pouvoir de retarder l’admissibilité à la libération conditionnelle conformément à l’art. 743.6 du Code criminel. Les procureurs doivent envisager de présenter une demande aux termes de cette disposition, particulièrement si les infractions sont graves et s’il n’y a aucune circonstance exceptionnelle atténuante.
Certaines infractions en matière de sécurité nationale peuvent faire l’objet d’une présomption retardant l’admissibilité à une libération conditionnelle. En vertu du paragraphe 743.6(1.2) du Code criminel, les infractions de terrorisme sont présumées être des infractions pour lesquelles il est approprié de retarder l’admissibilité à une libération conditionnelle. Si le procureur est d’avis que les circonstances sont suffisamment exceptionnelles pour réfuter cette présomption, il doit préparer une recommandation écrite qui sera examinée par le PFC avant que la question ne soit abordée devant le tribunal. Si le PFC est convaincu que la recommandation est appropriée, il l’approuve et la transmet au DAPP pour son approbation.
5.3 Détermination de la peine en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents
La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) s’applique à toute jeune personne accusée d’une infraction de terrorisme ou assujettie à un engagement en vertu de l’art. 810.011 ou de l’art. 83.3. Lorsqu’un tribunal détermine la peine d’un adolescent reconnu coupable d’une infraction de terrorisme ou d’un manquement à un engagement, les dispositions de la LSJPA prévoyant un placement sous garde s’appliqueront. Le paragraphe 39(1) de la LSJPA énonce ce qui suit :
(1) Le tribunal pour adolescents n’impose une peine comportant le placement sous garde en application de l’article 42 (peines spécifiques) que si, selon le cas :
a) l’adolescent a commis une infraction avec violence ;
b) il a déjà été déclaré coupable d’une infraction à l’article 137 à l’égard de plus d’une peine et, si la peine qu’impose le tribunal a trait à une infraction prévue aux paragraphes 145(2) à (5) du Code criminel ou à l’article 137, il a, en commettant cette infraction, porté atteinte ou présenté un risque d’atteinte à la sécurité du public ;
c) il a commis un acte criminel pour lequel un adulte est passible d’une peine d’emprisonnement de plus de deux ans, après avoir fait l’objet de plusieurs sanctions extrajudiciaires ou déclarations de culpabilité — ou toute combinaison de celles-ci — dans le cadre de la présente loi ou de la Loi sur les jeunes contrevenants, chapitre Y-1 des Lois révisées du Canada (1985) ;
d) il s’agit d’un cas exceptionnel où l’adolescent a commis un acte criminel et où les circonstances aggravantes de la perpétration de celui-ci sont telles que l’imposition d’une peine ne comportant pas de placement sous garde enfreindrait les principes et objectifs énoncés à l’art. 38.
Les procureurs doivent également noter que certaines dispositions de la LSJPA prévoient d’autres exigences et considérations avant qu’une peine comportant un placement sous garde ne puisse être imposée.
5.3.1 Infractions de terrorisme
Un adolescent sans dossier reconnu coupable d’une infraction de terrorisme peut être condamné à un placement sous garde en vertu de l’alinéa 39(1)a) de la LSJPA. Cette disposition prévoit l’imposition d’un placement sous garde lorsque l’adolescent a commis une infraction avec violence, laquelle est définie à l’art. 2 de la LSJPA de la manière suivante :
- a) Infraction commise par un adolescent dont l’un des éléments constitutifs est l’infliction de lésions corporelles ;
- b) Tentative ou menace de commettre l’infraction visée à l’alinéa a) ;
- c) Infraction commise par un adolescent au cours de la perpétration de laquelle il met en danger la vie ou la sécurité d’une autre personne en créant une probabilité marquée qu’il en résulte des lésions corporelles.
Compte tenu de la vaste gamme des comportements visés par les infractions de terrorisme, par exemple la facilitation, les procureurs devront déterminer si le comportement en cause dans un dossier précis répond à la définition d’infraction avec violence, et ils doivent être prêts à réfuter les arguments selon lesquels ce n’est pas le cas.
L’alinéa 39(1)d) permettrait également de manière générale l’imposition d’un placement sous garde à l’égard des infractions de terrorisme. Cette disposition permet l’imposition du placement sous garde dans des cas « exceptionnels » où l’adolescent a commis un acte criminel dont les circonstances aggravantes entourant sa perpétration sont telles qu’une peine ne comportant pas de placement sous garde enfreindrait les principes et objectifs énoncés à l’art. 38 de la LSJPA.
5.3.2 Violation d’engagement
Le placement sous garde ne sera pas, en général, imposé à un adolescent sans dossier qui est assujetti à un engagement aux termes de l’art 810.011, et qui est ensuite déclaré coupable d’un manquement à cet engagement. Selon l’alinéa 39(1)b), le placement sous garde peut être imposé « si l’adolescent n’a pas respecté les peines ne comportant pas un placement sous garde qui lui ont déjà été imposées ». La jurisprudence interprète ce libellé comme le défaut de se conformer à plus d’une peine ; autrement dit, plusieurs manquements à une même peine ne comportant pas de placement sous garde ne suffisent pasNote de bas de page 18. L’adolescent doit avoir été déclaré coupable et condamné à au moins deux peines distinctes ne comportant pas de placement sous garde auxquelles il ne s’est ensuite pas conformé.
Les procureurs devraient indiquer pourquoi ils ne demandent pas de placement sous garde dans le cadre de leurs plaidoiries sur la peine à imposer pour une violation d’engagement en vertu de l’art. 810.011. Les avocats devraient également demander qu’une nouvelle peine ne comportant pas de placement sous garde soit imposée pour la violation d’engagement afin que l’adolescent puisse être condamné à un placement sous garde en application de l’alinéa 39(1)b) s’il y a une nouvelle violation d’engagement. Ceci avertit l’adolescent des conséquences de tout nouveau manquement.
La LSJPA ne prévoit pas une disposition particulière sur la violation d’un engagement au titre de l’art. 810. 011. Si un tel engagement n’est pas respecté, l’art. 811 du Code criminel s’appliqueNote de bas de page 19.
Dans le cas où un adolescent omet ou refuse de contracter un tel engagement, le tribunal peut imposer les sanctions prévues au paragraphe 42(2) de la LSJPA, mais une ordonnance de placement ou de surveillance prévue à l’alinéa 42(2)n) ne peut excéder 30 joursNote de bas de page 20.
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