Chapitre 8 - Faux plaidoyers de culpabilité

 

I. Introduction

La liberté d’un accusé de choisir de plaider coupable ou non est bien établie dans la common law canadienneFootnote 283. IIl s’agit d’un droit constitutionnel. Les tribunaux reconnaissent comme principe de justice fondamentale, le droit des accusés de contrôler la conduite de leur défenseFootnote 284, notamment les décisions fondamentales à cet égard, comme la manière de plaider. Toutefois, nous savons qu’au Canada, certains ont parfois plaidé coupables de crimes qu’ils n’avaient pas commis et ce, pour diverses raisons. Le phénomène des faux plaidoyers de culpabilité est une question qui préoccupe de plus en plus les experts à l’échelle nationale et internationale. Pour cette raison, le Sous-comité a choisi d’examiner ce sujet important dans le cadre d’un nouveau chapitre de ce rapport aux fins de sensibilisation et de réponse à deux principales questions :

II. Renseignements généraux et contexte

Il y a plus de 25 ans, l’ancienne Commission de réforme du droit du Canada a clairement indiqué que dans le cadre de la négociation de plaidoyers, on tentait de persuader les accusés de plaider coupables d’infractions qu’ils n’avaient pas commisesFootnote 285. Il ne fait aucun doute qu’il en a été de même au Canada. En bref, le système de justice pénale du Canada ne permet pas dans tous les cas de se prémunir contre les faux plaidoyers de culpabilité. Il est manifeste qu’il y en a, mais que nous ne connaissons simplement pas l’ampleur de ce phénomène.

Même si en vertu du système de justice canadien actuel, certains accusés peuvent, dans des situations particulières, décider rationnellement de plaider coupable d’un crime qu’ils n’ont pas commis, le présent Sous-comité part du principe que, du point de vue de l’État, l’inscription d’un faux plaidoyer de culpabilité n’est jamais une issue acceptable dans le système de justice pénale canadienFootnote 286 et qu’il n’est en aucun cas dans l’intérêt public de déclarer un innocent coupable. De plus, le Sous-comité croit fermement que même si les accusés ont en fin de compte la liberté de contrôler la conduite de leur défense, tous les participants au système de justice pénale, notamment les avocats de la défense, ont une obligation éthique de prendre toutes les mesures raisonnables relevant de leur compétence pour empêcher l’inscription de faux plaidoyers de culpabilité.

La Cour suprême du Canada a indiqué que « notre système de justice repose sur le précepte selon lequel l’innocent ne doit pas être déclaré coupable […] et qu’une société juste ne saurait tolérer qu’un innocent soit condamné et puniFootnote 287. » Il incombe aux gouvernements ainsi qu’aux autres participants du système de justice pénale d’examiner la portée du problème, ses raisons et si l’on prend toutes les mesures raisonnables possibles en vue de réduire le risque de faux plaidoyers de culpabilité dans les affaires en matière pénale au Canada ou si l’on peut ou doit en faire davantage.

III. Généralisation des faux plaidoyers de culpabilité chez les innocents

Les faux plaidoyers de culpabilité s’apparentent aux faux aveux dans la mesure où des personnes avouent des crimes qu’elles n’ont pas commisFootnote 288. Toutefois, contrairement aux faux aveux qui en principe ont lieu dans le cadre d’interrogatoires de la police, les faux plaidoyers de culpabilité (comme ceux qui sont valides), font suite de manière générale aux discussions entre un accusé et son avocat de la défense ou aux pourparlers de règlement entre le procureur de la Couronne et l’avocat de la défense. Selon certains experts, le nombre de cas bien documentés de faux plaidoyers de culpabilité augmente et les nombreuses inscriptions annuelles de plaidoyers de culpabilité au Canada laissent entendre que les faux plaidoyers de culpabilité sont vraisemblablement plus importants que ce que nous pensons, mais passent inaperçusFootnote 289. De plus, ils sont plus difficiles à définir. En outre, ce phénomène a été beaucoup moins analysé que les faux aveuxFootnote 290.Footnote 291. La doctrine grandissante indique également que certaines sous-populations, comme les jeunes, les Autochtones, ceux qui souffrent de troubles de santé mentale ou cognitifs ou qui sont marginalisés en raison de divers facteurs, comme la race, la pauvreté ou certaines combinaisons de ces facteurs, peuvent être particulièrement à risque de faire de faux aveux ou d’inscrire de faux plaidoyers de culpabilitéFootnote 292.

Cela étant dit, aucune étude canadienne à ce jour n’a quantifié, par des recherches empiriques, l’ampleur du phénomène des accusés au Canada qui choisissent de plaider coupables de crimes qu’ils n’ont pas commis. Même si Innocence Canada (anciennement l’Association in Defence of the Wrongly Convicted) a défini 5 affaires d’exonérations parmi les 21 dans lesquelles il y avait un lien direct avec les faux plaidoyers de culpabilitéFootnote 293, il n’y a pas de liste nationale exhaustive « officielle » de tels cas au Canada. La doctrine canadienne qui a examiné ce phénomène a indiqué [Traduction] « qu’il y a de bonnes raisons de croire qu’ils sont assez répandusFootnote 294 » et qu’il y a probablement beaucoup plus de cas non documentés.Footnote 295

Toutefois, les experts canadiens ont tenté d’évaluer la généralisation des faux plaidoyers de culpabilité au Canada par rapport aux données connues, estimations qui découlent en partie de la logique et du bon sens. Selon certains universitaires canadiens, notre système de justice pénale est aux prises avec plus de 450 000 accusés par année et la vaste majorité d’entre eux plaident coupables, ce qui pourrait laisser entendre que des centaines, voire des milliers de personnes plaident chaque année coupables de crime qu’elles n’ont pas commis (même si seulement 1 % des plaidoyers de culpabilité sont faux)Footnote 296. Dans le Rapport de 2017 du Sénat sur les délais dans le système de justice pénale au Canada, les sénateurs ont examiné la question des témoignages et ont indiqué que 90 % des affaires au pénal ne faisaient pas l’objet de poursuites et étaient en majorité réglées au moyen de négociations de plaidoyersFootnote 297. Certains experts canadiens reconnus ont indiqué ce qui suit : [Traduction] « […] Étant donné la preuve récente de l’inscription tant irrationnelle que rationnelle des plaidoyers de culpabilité par des innocents, on ne peut présumer que tous ceux au Canada qui plaident coupables le sont réellementFootnote 298. »

De plus, selon des travaux de recherche, des innocents n’inscrivent pas de plaidoyers de culpabilité uniquement pour des crimes graves, mais également pour des infractions moindres. Historiquement, les affaires les plus connues de condamnations injustifiées au Canada portaient généralement sur une question d’homicide ou d’agression sexuelle. Les infractions moindres n’ont pas reçu autant d’attention ou n’ont pas été aussi examinées. Par conséquent, on ignore combien de faux plaidoyers de culpabilité relatifs à des infractions moindres ont été inscrits dans cet ÉtatFootnote 299. Les avocats et à vrai dire les accusés en soi, peuvent être moins amenés à obtenir réparation en ce qui a trait à des déclarations de culpabilité concernant des infractions relativement mineures à l’égard desquelles des peines moindres ont été imposées. Certains avancent que le taux de faux plaidoyers de culpabilité concernant des infractions relativement mineures pourrait être plus élevé que pour les crimes plus gravesFootnote 300. Un innocent peut décider rationnellement d’inscrire de manière précoce un plaidoyer de culpabilité en vue de régler plus rapidement la question en jeu dans des affaires mineures (dans lesquelles on s’attend à ce que la peine soit plus clémente) pour éviter les conséquences financières, émotionnelles et connexes du long processus de contestation des faits reprochésFootnote 301, notamment le refus d’une mise en liberté sous caution.

Dans une récente affaire canadienne, la Cour d’appel du Manitoba a autorisé un accusé autochtone à retirer son plaidoyer de culpabilité. Elle a annulé sa déclaration de culpabilité et prononcé son acquittement après la déposition de témoignages étayant le fait qu’il ne pouvait être l’auteur du crime pour lequel il avait plaidé coupable, étant donné qu’il était sous garde au moment de la perpétration de celui-ci. Richard Joseph Catcheway a été arrêté en septembre 2017 pour plusieurs infractions, notamment pour présence illégale dans une maison d’habitation (le 10 mars 2017). En novembre 2017, il a inscrit un plaidoyer de culpabilité à l’égard de celle-ci et a été condamné en janvier 2018 à une détention présentencielle de 6 mois et un jour de comparution et une période de probation de 18 mois. Le fait qu’il était détenu au Centre correctionnel de Brandon au moment de la perpétration de l’infraction à Winnipeg a été révélé quelques semaines suivant sa déclaration de culpabilité. Même si les raisons pour lesquelles M. Catcheway a décidé de plaider coupable ne sont pas parfaitement claires, il a indiqué au rédacteur de son rapport présententiel - commentaires qui sont d’ailleurs cités dans le mémoire conjoint déposé auprès de la Cour d’appel - qu’il avait inscrit un plaidoyer de culpabilité à tout le moins en partie en vue d’éviter un procès :

[Traduction] « […] Il a initialement indiqué ne pas se rappeler la soirée au cours de laquelle il a été accusé de présence illégale dans une maison d’habitation. Il a ensuite déclaré avoir plaidé coupable pour éviter de subir un procès et du fait d’une déclaration sur bande vidéo dans laquelle on faisait part de sa présence lors de la perpétration de l’infraction. Au cours de l’entrevue, il a continué de dire qu’il ne se rappelait pas l’évènement et qu’il n’était pas présent au moment de la perpétration de l’infraction […]Footnote 302. »

Comme il fallait s’y attendre, les travaux de recherche sur les faux plaidoyers de culpabilité sont plus nombreux aux États-Unis, ce qui vaut de manière générale pour le phénomène des condamnations injustifiées. Ceux-ci ont indiqué que parmi les 250 premiers cas d’exonération par preuve génétique, 19 personnes avaient plaidé coupables d’un crime pour lequel elles ont par la suite été disculpées (soit 7,6 %)Footnote 303. Le professeur Brandon Garrett laisse entendre que ces données pourraient être trompeuses au niveau du pourcentage global de faux plaidoyers de culpabilité, du fait que les 250 affaires portaient sur des infractions graves (notamment de meurtre) où les accusés pourraient être hésitants, et cela peut se comprendre, à plaider coupables en raison de la sévérité de la peine s’y rattachant. Selon certains experts américains, le taux de faux plaidoyers de culpabilité aux États-Unis peut être de manière générale plus élevé lorsque l’on prend en considération l’ensemble des infractions. [Traduction] « C’est une chose d’avouer à tort la commission d’un crime si ce dernier est relativement mineur et que la peine imposée est un an d’emprisonnement, mais il en est tout autrement si l’issue est l’emprisonnement à perpétuité […]Footnote 304. »

Le National Registry of Exonerations est un projet concerté entre l’Irvine Newkirk Centre for Science and Society de l’Université de Californie, la Faculté de droit de l’Université du Michigan et le Michigan State University College of Law. Il fournit des renseignements sur tous les cas d’exonération connus aux États-Unis depuis 1989. (Contrairement aux cas d’exonération reconnus par l’Innocence Project (New York), le National Registry ne se limite pas à reconnaître les exonérations par preuve génétique uniquement).

Compte tenu de cette mise en garde, dans son rapport de 2018, le National Registry a indiqué avoir consigné 2 161 cas d’exonération aux États-Unis de 1989 à 2017Footnote 305.En ce qui concerne cette dernière année, le Registry a fait état de 139 cas d’exonération - pour 36 d’entre eux, il y avait eu déclaration de culpabilité sur la base de plaidoyers de culpabilité; pour les 29 autres, il y avait eu de faux aveux. Par conséquent, dans 25,9  % des exonérations définies par le National Registry en 2017, des plaidoyers de culpabilité avaient été inscrits.

L’Innocence Project (New York) a lancé une campagne en 2017 aux fins de sensibilisation à la question des faux plaidoyers de culpabilité. Durant cette période, dans près de 11 % des 349 cas de disculpation, de faux plaidoyers de culpabilité avaient été inscritsFootnote 306.

IV. Raisons pour lesquelles des innocents plaident coupables de crimes qu’ils n’ont pas commis

Aussi paradoxal que cela puisse sembler, des innocents plaident parfois coupables de crimes qu’ils n’ont pas commis pour diverses raisons. Selon certains experts, la raison principale en est que l’inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité permet à un accusé, qu’il soit coupable ou non, d’éviter l’incertitude liée à l’issue d’un procès et de se voir imposer la peine la plus clémente ce qui est généralement le cas dans ces situationsFootnote 307. (Une inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité a longtemps été reconnue en common law comme étant un facteur atténuant lors de la détermination de la peineFootnote 308).

Toutefois, des innocents peuvent plaider coupables de crimes qu’ils n’ont pas commis pour d’autres raisons, tant rationnelles qu’irrationnelles, notamment pour les facteurs indiqués ci-après ou une combinaison de ceux-ci :

Ces facteurs qui dans certains cas peuvent se chevaucher, méritent tous d’être examinés de manière plus approfondie quant à leur rapport avec les faux plaidoyers de culpabilité. L’État, représenté par les agents de police et la Couronne, n’a manifestement aucun contrôle sur bon nombre de ces facteurs, mis à part le fait d’y être sensible au cours des interrogatoires de la police et l’examen du dossier par le procureur de la Couronne dans le cadre de l’évaluation de la probabilité de condamnation. En fait, on pourrait soutenir que plusieurs de ces facteurs se rattachent plutôt au rôle de l’avocat de la défense dans le cadre de la prestation de services de consultation à l’égard de leur client. Étant donné que ce chapitre mettra l’accent sur les mesures susceptibles d’être prises par les acteurs étatiques, comme les policiers et les procureurs de la Couronne, en vue d’atténuer le risque de faux plaidoyers de culpabilité, le Sous-comité quant à lui, a choisi de se concentrer sur des domaines dans lesquels ces acteurs sont en jeu, notamment d’examiner de manière plus approfondie le lien entre le refus d’obtenir une mise en liberté sous caution et l’inscription d’un faux plaidoyer de culpabilité, en partie en raison du fait que la Couronne a un certain contrôle sur ce facteur, compte tenu de sa capacité à fournir des directives aux procureurs par l’entremise de politiques à ce sujet, ce qui en fin de compte, peut se traduire dans les positions adoptées à l’égard d’une mise en liberté sous caution dans certains cas.

Cela étant dit, il importe d’indiquer clairement dès le début que le Sous-comité ne laisse nullement entendre que la Couronne devrait adopter une position plus indulgente relativement à la mise en liberté sous caution à moins que cela soit jugé nécessaire ou approprié dans un dossier donné en vue de réduire le risque d’inscription d’un faux plaidoyer de culpabilité par un accusé pour éviter une détention avant procès. Le Sous-comité croit fermement que pour déterminer sa position en matière de mise en liberté sous caution, la priorité de la Couronne est et doit être à juste titre la sécurité publique. Les procureurs de la Couronne sont également tenus de suivre les politiques en la matière de leurs services de poursuite ainsi que les préceptes de la common law à cet égard. Cette discussion vise plutôt à définir ce que la doctrine tend à indiquer à ce jour concernant le lien entre les accusés qui se voient refuser une mise en liberté sous caution et l’inscription d’un faux plaidoyer de culpabilité. Qui plus est, cette discussion a pour objectif d’indiquer la voie à suivre quant à la poursuite de recherches plus poussées.

Les travaux de recherche démontrent de plus en plus qu’un accusé qui s’est vu refuser des mises en liberté sous caution ressent une plus forte pression (contrairement à un accusé non détenu) de plaider coupable pour simplement être libéréFootnote 327. Dans un rapport de juillet 2014 sur la mise en liberté sous caution, l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) a indiqué que des pressions sont exercées sur les accusés aux fins d’un plaidoyer de culpabilité pour éviter « un temps mort » surpeupléFootnote 328. Toutefois, les travaux de recherche canadiens indiquent moins clairement la mesure dans laquelle des innocents inscrivent des plaidoyers de culpabilité du fait qu’ils se sont vus refuser une mise en liberté sous caution et souhaitent simplement être libérés. La doctrine canadienne affirme que c’est le cas. Néanmoins, une nouvelle fois, à l’instar des condamnations injustifiées de manière générale, la portée du phénomène n’est pas claire. Certains universitaires font valoir qu’il est raisonnable de présumer que bon nombre d’innocents plaident coupables en vue d’éviter un placement sous garde (notamment risque d’une longue période de détention) ou l’imposition de conditions dans certains centres de détention avant procès. De plus, ils indiquent que l’on peut s’attendre à ce que l’accroissement du nombre d’accusés dans les centres de détention au Canada donne lieu à une augmentation d’innocents qui plaident coupables pour être libérés, en particulier si la peine imputable pour le crime perpétré est susceptible de donner lieu dans le pire des cas, à un placement sous garde de courte duréeFootnote 329. (L’ACLC a indiqué dans son rapport que le taux de détention provisoire au Canada avait triplé au cours des 30 dernières annéesFootnote 330).

Certains universitaires avancent qu’il est « généralement accepté » que des innocents qui se voient refuser une mise en liberté sous caution plaident parfois coupables au lieu d’attendre la tenue d’un procès en vue d’être libérés plus tôtFootnote 331. Le fait est, comme les experts le soulignent, qu’un accusé est parfois libéré plus tôt s’il inscrit un plaidoyer de culpabilité au lieu de subir un procès. En 1971, un article de « Life Magazine » sur un avocat de New York a rapporté les propos formulés par le défendeur : [Traduction] « vous voulez dire que si je plaide coupable, je vais sortir aujourd’hui, […] mais que si je suis innocent, je vais continuer d’être détenuFootnote 332? » Comme l’a déclaré un universitaire américain : [Traduction] « Si l’on inscrit un plaidoyer de culpabilité, on est immédiatement mis en liberté, alors que la défense de l’innocence d’une personne veut forcément dire qu’il faut attendre plus longtemps pour subir un procès et être éventuellement mis en liberté. Même un défendeur innocent peut trouver cette entente ainsi que la perspective d’une mise en liberté immédiate irrésistiblesFootnote 333. »

En fait, certains experts canadiens font valoir qu’un innocent peut être plus enclin à inscrire un plaidoyer de culpabilité précoce dans les affaires mineures dans lesquelles un accusé ayant un lourd casier judiciaire pense n’avoir aucune chance d’obtenir une mise en liberté sous caution et reconnaît que le délai avant procès sera plus long que la peine qui serait imposée en cas d’inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilitéFootnote 334.

Aux États-Unis, on a indiqué que l’exigence courante liée à un cautionnement en espèces est la raison pour laquelle les personnes démunies plaident coupables même si elles sont innocentes du fait qu’elles ne peuvent pas, dans la majorité des cas, se permettre financièrement de payer la cautionFootnote 335. À New York uniquement, chaque année, près de 45 000 personnes sont placées sous garde parce qu’elles ne peuvent pas payer le montant de la cautionFootnote 336. Selon le journaliste Nick Pinto, il s’agit d’une trappe pour les personnes qui ne peuvent pas se le permettre financièrement. Voici ce qu’il a déclaré : [Traduction] « Le secret de Polichinelle est que dans la plupart des administrations, la caution est l’huile qui permet de faire tourner les rouages du système déjà surchargé. Devant la perspective d’aller en prison pour défaut de caution, un grand nombre de défendeurs acceptent plutôt une entente de plaidoyer […]Footnote 337. » Refuser une mise en liberté sous caution aux États-Unis a été décrit comme un « moyen de coercition » forçant certaines personnes qui ne plaideraient normalement pas coupables à inscrire des plaidoyers de culpabilitéFootnote 338. » Pinto indique que les personnes démunies sont particulièrement à risque. Voici ses propos : [Traduction] « La mise en liberté sous caution est la raison pour laquelle les personnes démunies qui normalement obtiendraient gain de cause plaident coupablesFootnote 339. »

En revanche au Canada, dans une décision unanime de la Cour suprême du Canada rendue en 2017 dans R. c. Antic, les juges ont clairement indiqué que l’on ne pouvait imposer un cautionnement en espèces que dans des circonstances exceptionnelles. Même si tel est le cas et qu’un cautionnement en espèces est ordonné, « le montant fixé ne doit pas être plus élevé que nécessaire pour dissiper la préoccupation qui justifierait par ailleurs la détention de l’accusé, et doit être proportionné aux moyens de l’accusé [.. ]Footnote 340. »

Toutefois, les universitaires canadiens ont préconisé une réforme du système de mise en liberté sous caution au Canada pour faire en sorte qu’elle soit accordée plus fréquemment et qu’elle soit assortie de moins de conditions en vue de réduire le nombre d’innocents qui plaident coupables pour être mis en liberté. Ils font valoir que certains groupes, comme les accusés autochtones, sont surreprésentés parmi ceux qui inscrivent de faux plaidoyers de culpabilitéFootnote 341. Selon certains experts, la seule manière de décourager les innocents à plaider coupable en vue d’être mis en liberté est d’accorder à des accusés une mise en liberté sous caution une fois qu’ils ont passé le même temps en détention que la peine qui aurait été purgée à la suite de l’inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilitéFootnote 342.

Il importe de souligner que le 29 mars 2018, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi C-75, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois apportant des modifications corrélatives à certaines loisFootnote 343, qui prévoit notamment de réformer de manière importante le système de justice pénale, y compris la mise en liberté provisoire et le système de mise en liberté sous caution. Parmi les modifications proposées, on prévoit l’obligation pour les agents de la paix, les juges de paix et les juges de chercher en premier lieu à mettre en liberté le prévenu à la première occasion raisonnable et sous réserve des conditions les moins sévères possible dans les circonstancesFootnote 344. Aux termes du projet de loi, les agents de la paix, les juges de paix ainsi que les juges sont tenus, dans toute décision prise concernant la mise en liberté d’un accusé à l’étape préalable au procès, d’accorder une attention particulière à la situation des Autochtones et des prévenus appartenant à des populations vulnérables qui sont surreprésentés au sein du système de justice pénale et qui souffrent d’un désavantage lorsqu’il s’agit d’obtenir une mise en liberté préalable au procèsFootnote 345.

Le lien entre le fait de se voir refuser une mise en liberté sous caution et l’inscription de plaidoyers de culpabilité par des innocents mérite une attention plus particulière, étant donné le taux de détention provisoire au Canada. Même la Cour suprême du Canada a indiqué qu’aucun prévenu ne doit se sentir obligé de plaider coupable pour être mis en liberté. Dans R. c. Antic, le juge Wagner, s’exprimant au nom de la Cour a indiqué ce qui suit : « L’accusé est présumé innocent et il ne doit pas juger nécessaire de plaider coupable dans le seul but d’obtenir sa libération […]Footnote 346. »

V. Pistes de réflexion aux fins de la diminution de faux plaidoyers de culpabilité

Des réformes aux fins de la diminution du risque de faux plaidoyers de culpabilité au Canada peuvent être compliquées et semées d’embûches du fait à tout le moins que certaines modifications peuvent nécessiter un nouvel examen des principes juridiques de longue date et des pratiques bien ancrées. Cela étant dit, les gouvernements ainsi que les acteurs principaux du système de justice pénale, comme les agents de police, les procureurs, les avocats de la défense, les juges ainsi que les associations professionnelles, les barreaux et autres organisations pertinentes au Canada, sont tous tenus d’examiner l’ensemble des réformes possibles susceptibles de réduire le risque des faux plaidoyers de culpabilité au Canada. La discussion ci-après met l’accent sur les domaines de réforme possibles définis par les experts en la matière qui méritent un examen plus approfondi.

1. Pourparlers de règlement et inscriptions précoces de plaidoyers de culpabilité - facteurs atténuants lors de la détermination de la peine

a) Pourparlers de règlement

Comme susindiqué, la vaste majorité des affaires pénales au Canada ne font pas l’objet de poursuites, mais sont réglées par l’inscription de plaidoyers de culpabilité, souvent à la suite de pourparlers de règlement entre les avocats de la défense et les procureursFootnote 347. Même si la portée des pourparlers de règlement peut être vasteFootnote 348, de telles négociations prévoient souvent l’inscription d’un plaidoyer de culpabilité par le prévenu à l’égard des accusations portées ou d’une infraction moindre en échange de l’acceptation par la Couronne de solliciter une peine plus clémente que celle à laquelle celui-ci aurait pu s’attendre s’il avait été déclaré coupable à l’issue d’un procès. En vertu de la common law canadienne, l’inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité a depuis longtemps été reconnue comme un facteur atténuant lors de la détermination de la peine. Par conséquent, l’acceptation par la Couronne de solliciter une peine plus clémente en échange de l’inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité est toujours un aspect des pourparlers de règlement.

On s’attachera donc dans le cadre de cette section à examiner la question des pourparlers de règlement visant à régler les affaires par l’inscription de plaidoyers de culpabilité et les mesures, le cas échéant, que l’État ainsi que ses principaux acteurs peuvent prendre en vue de réduire le risque de faux plaidoyers de culpabilité inscrits à la suite de telles discussionsFootnote 349. On devrait toutefois souligner dès le départ, que des discussions en vue d’une entente sur le plaidoyer et la pratique de la Couronne de convenir de solliciter une peine plus clémente en échange de l’inscription d’un plaidoyer de culpabilité sont des pratiques entièrement appropriées, éthiques et légitimes au sein du système de justice pénale canadien. Cela étant dit, celles-ci sont ici analysées en vue d’examiner de manière exhaustive les pratiques mettant en jeu les principaux participants au système de justice pénale, comme les avocats de la défense ainsi que les procureurs de la Couronne, qui ont parfois donné lieu à de faux plaidoyers de culpabilité.

Au Canada, la pratique de longue date des « négociations de plaidoyersFootnote 350 », que l’on appelle souvent aujourd’hui les « discussions en vue d’une entente sur le plaidoyer », avait alors suscité une grande controverseFootnote 351. Toutefois, elle est dorénavant considérée comme un aspect fondamental du système de justice pénale au CanadaFootnote 352. La Cour suprême du Canada dans une décision rendue en 2016 a donné raison au Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions (1993) dans le cadre duquel il est indiqué que la pratique constitue une « partie appropriée et nécessaire de l’administration de la justice criminelleFootnote 353. » Dans R. c. Anthony-Cook la Cour suprême du Canada a indiqué ce qui suit : « Les discussions que tiennent les avocats du ministère public et ceux de la défense en vue d’un règlement sont non seulement courantes dans le système de justice pénale, elles sont essentielles. Menées correctement, elles permettent un fonctionnement en douceur et efficace du systèmeFootnote 354. »

En plus des nombreux avantages que les recommandations conjointes offrent aux participants dans le système de justice pénale, elles jouent un rôle vital en contribuant à l’administration de la justice en général. La perspective d’une recommandation conjointe qui comporte un degré de certitude élevé encourage les personnes accusées à enregistrer un plaidoyer de culpabilité qui font économiser au système de justice des ressources et un temps précieux qui peuvent être alloués à d’autres affaires. Il ne s’agit pas là d’un léger avantage. Dans la mesure où elles font éviter des procès, les recommandations conjointes relatives à la peine permettent à notre système de justice de fonctionner plus efficacement. Je dirais en fait qu’elles lui permettent de fonctionner. Sans elles, notre système de justice serait mis à genoux, et s’effondrerait finalement sous son propre poidsFootnote 355.

En fait, la Cour suprême du Canada a depuis longtemps reconnu les pourparlers de règlement comme un élément essentiel du pouvoir discrétionnaire du poursuivantFootnote 356.

L’histoire est semblable à celle des États-Unis. Les négociations de plaidoyers sont devenues courantes au milieu des années 1800. Quoique controversée, cette pratique a reçu l’approbation judiciaire de la Cour suprême américaine en 1971, lorsqu’elle a indiqué [Traduction] « qu’elle constituait un élément essentiel de l’administration de la justiceFootnote 357. » Cette pratique est de nos jours bien établie et reconnue. Cette même instance a reconnu en 2012 que cette pratique joue un rôle central dans l’obtention des déclarations de culpabilité et la détermination de la peine et que le système de justice pénale constitue [Traduction] « en majeure partie un système de plaidoyers et non un système de contentieuxFootnote 358. »

Malgré le rôle central et licite des pourparlers de règlement au sein du système de justice pénale, une lacune importante de ces discussions courantes, du point de vue des avocats qui se préoccupent des innocents, est que celles-ci ont lieu en privé entre le procureur de la Couronne et l’avocat de la défense, qu’elles sont en général privilégiéesFootnote 359 et ne sont pas assujetties à un examen ou à un contrôle public au même titre que les procédures en audience publique. Autrement dit, les pourparlers de règlement ne bénéficient pas des protections prévues dans le cadre du système accusatoire, notamment le concept des audiences publiques comme étant un principe consacré, c.-à-d. les ententes conclues au cours de pourparlers de règlement ne sont pas entièrement visibles ou transparentesFootnote 360. Certains font valoir qu’il est possible que les accusés fassent l’objet de pressions et de contraintes non reconnues aux fins de l’inscription d’un plaidoyer de culpabilité aux termes de ces pourparlers. Lorsque les avocats de la défense, les procureurs de la Couronne et les juges s’acquittent de leurs fonctions en public, il est possible d’examiner de manière minutieuse leur respect aux obligations éthiques et juridiques. Un examen minutieux et un contrôle rigoureux externes de ce type n’existent pas lorsque les pourparlers se déroulent en privéFootnote 361.

Le Rapport Martin a indiqué que la pratique, quoiqu’encore controversée, était déjà largement soutenue au moment de la présentation du Comité dans les années 1990Footnote 362 et a reconnu que de tels pourparlers constituaient un élément essentiel du système de justice pénale en OntarioFootnote 363. Toutefois, le Rapport Martin a reconnu la réprobation de longue date et constante de cette pratique par certains en raison de sa nature privée et de son manque de protections procédurales (contrairement à des procès présidés par un juge impartial) et donc d’un risque accru que des plaidoyers forcés et qu’une conduite contraire à l’éthique puissent passer inaperçusFootnote 364. Le Rapport Martin a également indiqué que selon certains, la nature des négociations de plaidoyers peut donner lieu à ce que l’on fasse passer au premier plan les expertises des parties négociatrices au détriment du bien-fondé de l’affaireFootnote 365. Il a en outre souligné que les négociations de plaidoyers permettent l’élaboration d’un dossier beaucoup plus limité relativement à un examen ultérieur que si l’affaire fait l’objet de poursuitesFootnote 366.

Cela étant dit, comme nous l’avons déjà indiqué dans ce chapitre, les procureurs de la Couronne à l’échelle nationale sont de nos jours guidés par des politiques qui établissent les paramètres appropriés et éthiques de tels pourparlers de règlement. De plus, les procureurs de la Couronne ainsi que les avocats de la défense doivent également respecter le Code de déontologie des barreaux.

Toutefois, certains experts canadiens et américains actuels continuent de faire valoir que cette pratique doit faire l’objet d’un examen encore plus approfondiFootnote 367. En fait, le regretté juge Marc Rosenberg de la Cour d’appel de l’Ontario a indiqué publiquement en 2011 que les négociations de plaidoyers étaient devenues coercitives, qu’elles incitaient un nombre intolérable d’innocents à plaider coupables et qu’elles nécessitaient un examen exhaustif. Il a indiqué que rien ne donne à penser que le système s’effondrerait si l’on venait à les abolir. Il a également souligné que la ville américaine de la Nouvelle-Orléans l’avait fait il y a plusieurs années et que cela n’avait pas paralysé le système. Il a observé que les accusés ont continué d’inscrire des plaidoyers de culpabilité et que le nombre de procès n’avait que peu augmentéFootnote 368.

Certains laissent entendre que les juges devraient jouer un rôle plus actif : le juge présidant la conférence préparatoire devrait, si une négociation de plaidoyer est offerte, interroger le procureur de la Couronne ainsi que l’avocat de la défense sur les faits de l’affaire. Le juge chargé de la détermination de la peine devrait expressément demander à l’accusé s’il est l’auteur du crime, si des promesses ont été faites et, le cas échéant, si ces dernières ont eu des répercussions sur sa décision de plaider coupable. Selon les réponses apportées, le juge pourrait interroger plus en détail les avocats au sujet des faits appuyant le plaidoyer de culpabilité et refuser en fin de compte de l’accepter en raison de préoccupations liées à sa validitéFootnote 369. (En vertu de la common law, on s’attend à ce qu’un juge ne refuse une recommandation conjointe au sujet de la peine que si elle « correspond si peu aux attentes des personnes raisonnables instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice pénaleFootnote 370.) Au moment de la rédaction en avril 2018, le gouvernement fédéral avait proposé des modifications à l’art. 606 du Code criminel visant à exiger davantage des juges qui acceptent des plaidoyers de culpabilité. On discutera de ces modifications à la partie concernant l’article 606.

b) Plaidoyers de culpabilité précoces - facteur atténuant lors de la détermination de la peine

Selon certains experts, la principale raison pour laquelle des innocents choisissent parfois de plaider coupables est l’imposition d’une peine plus clémente. Comme nous l’avons déjà indiqué, un plaidoyer de culpabilité, en particulier celui inscrit de manière précoce dans le processus judiciaire, a été reconnu en vertu de la common law depuis des décennies au Canada comme étant un facteur atténuant lors de la détermination de la peineFootnote 371. Plus tôt le plaidoyer de culpabilité est inscrit dans le processus, plus il sera considéré comme donnant lieu à des circonstances atténuantesFootnote 372. Inscrire de manière précoce un plaidoyer de culpabilité dans le cadre du système pénal peut notamment laisser entendre des remordsFootnote 373, épargner aux victimes et aux témoins le stress et l’anxiété souvent liés à l’attente d’une déposition de témoignage et à avoir à le faire deux fois (au cours de l’enquête préliminaire et au moment du procèsFootnote 374). Cela peut être également interprété comme une prise de responsabilité précoce de la part du contrevenant dans le cadre du processus, et donc comme étant le premier pas vers la réadaptation. De plus, cela peut être perçu comme permettant d’épargner des ressources précieuses et des dépenses ainsi que d’éviter des inconvénients pour les témoins et la collectivité en généralFootnote 375. En fait, le Rapport Martin a recommandé que le procureur général de l’Ontario rappelle aux procureurs qu’une offre de plaidoyer de culpabilité faite à la première occasion raisonnable constitue [Traduction] « une circonstance particulièrement atténuanteFootnote 376. »

Toutefois, le risque lié à cette pratique de détermination de la peine de longue date, quoique entièrement justifiée sur le plan juridique, est qu’elle peut encourager (et le passé l’a démontré) un accusé à plaider coupable même s’il n’a pas commis le crime reproché. S’il semble qu’une déclaration de culpabilité est vraisemblable à l’issue du procès, et que l’accusé se verra imposer une peine beaucoup plus sévère s’il est déclaré coupable, l’inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité dans le cadre du processus peut constituer un choix rationnel pour les accusés innocents. L’affaire Anthony Hanemaayer Footnote 377 l’illustre parfaitement au Canada.

Hanemaayer avait toujours maintenu son innocence à l’égard de l’introduction par effraction et des voies de fait pour lesquelles il avait été inculpé, mais il n’avait aucun témoin susceptible d’établir un alibi en vue d’étayer le fait qu’il était chez lui au moment des évènements. Après le témoignage du témoin oculaire au cours du procès, qui selon Hanemaayer était convaincant, et consultation avec son avocat, il a inscrit un plaidoyer de culpabilité. Il a indiqué qu’il avait cru comprendre de son avocat qu’il serait presque certainement déclaré coupable et qu’il fallait qu’il s’attende à se voir imposer une peine d’emprisonnement de six ans ou plus. Il était conscient que s’il plaidait coupable, la peine d’emprisonnement infligée serait inférieure à deux ans. Hanemaayer a passé seize mois en détention pour un crime qu’il n’avait pas commisFootnote 378; sa déclaration de culpabilité a été par la suite annulée par la Cour d’appel de l’Ontario. Le juge Rosenberg, dans une décision unanime de la Cour a indiqué que cette affaire [Traduction] « constituait une mise en garde importante pour l’administration de la justice pénale. » Voici ce qu’il a indiqué :

[Traduction] […] « La Cour ne peut ignorer le dilemme terrible avec lequel était aux prises l’appelant. Il a passé huit mois sous garde dans l’attente d’un procès et risquait de se voir imposer une peine d’emprisonnement de six ans s’il était déclaré coupable, ce qui n’était pas si irréaliste, étant donné la gravité de l’infraction. Le système de justice a vigoureusement laissé miroiter à l’appelant qu’en plaidant coupable, il ne se verrait pas imposer une peine d’emprisonnementFootnote 379. »

Après une enquête plus approfondie, les agents de police ont conclu que Paul Bernardo était l’auteur du crime.

Abolir ou à tout le moins limiter la réduction de peine en échange de l’inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité pourrait éliminer ou réduire le risque d’inscription d’un plaidoyer de culpabilité d’un innocent à l’égard d’un crime qu’il n’a pas commis. On avance de solides arguments en faveur et à l’encontre à cet égard que l’on peut résumer de la manière suivante : d’un côté, certains universitairesFootnote 380 (et supposément certains avocats de la défense) sont d’avis que des innocents devraient être libres de plaider coupables en échange d’une peine plus clémente s’il y a un risque de condamnation à l’issue du procès, malgré le fait qu’ils ne sont pas les auteurs du crime reprochéFootnote 381, compte tenu de l’état actuel du droit existant. Certains universitaires s’interrogent sur les raisons pour lesquelles les innocents devraient croupir en prison dans l’attente d’un procès, pendant des mois voire des années, alors qu’ils pourraient être libres beaucoup plus rapidement s’ils plaident coupables et se voir imposer une peine moins sévère. Ils indiquent que l’on ne devrait pas refuser à des innocents accusés des avantages offerts à des accusés coupablesFootnote 382. De plus, les avocats de la défense sont tenus d’agir dans l’intérêt supérieur de leur client, notamment celui d’informer les accusés de la solidité de la preuve de la CouronneFootnote 383 ainsi que des offres faites par cette dernière avant le procès et de la probabilité de déclaration de culpabilité ainsi que de la peine à l’issue du procèsFootnote 384.

Ceci peut donner lieu (et le passé l’a démontré) à ce que des accusés innocents prennent des décisions rationnelles de plaider coupables. En outre, certains soutiennent, comme l’a récemment indiqué la Cour suprême dans R. c. Anthony-Cook, que le système de justice pénale ne pourrait pas fonctionner s’il n’y avait pas de négociations de plaidoyers (qui reposent sur l’offre d’une peine moins sévère en échange d’une inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité)Footnote 385.

En revanche, certains autres font valoir que même si les plaidoyers de culpabilité peuvent constituer un choix rationnel dans certaines situations du point de vue de l’accusé, un faux plaidoyer de culpabilité ne constitue jamais un règlement acceptable dans le système de justice pénale canadien. Il mine l’intégrité de celui-ci et des mesures doivent être prises en vue de les réduire ou de les éliminerFootnote 386. En effet, la Cour d’appel de l’Ontario a indiqué qu’il s’agissait [Traduction] « d’un principe bien établi selon lequel il ne peut jamais être dans l’intérêt d’un défendeur d’être déclaré coupable de manière injustifiéeFootnote 387. » Les participants au système de justice pénale, notamment les agents de police ainsi que les procureurs de la Couronne, ne peuvent également pas sciemment permettre à des innocents de plaider coupables de crimes qu’ils n’ont pas commis ou fermer les yeux à cet égard. Le reconnaissant en soi, le Rapport Martin a recommandé aux procureurs de la Couronne de ne pas accepter un plaidoyer de culpabilité s’ils sont au fait de l’innocence de l’accuséFootnote 388. Même si l'on peut se demander à quelle fréquence, le cas échéant, le procureur de la Couronne en a connaissance, le Rapport Martin a indiqué qu'accepter un plaidoyer de culpabilité d'un innocent [Traduction] « va à l'encontre du statut professionnel de l'avocat à titre d'officier de justice et porte atteinte à l'obligation de l'intégrité absolue : cela ressemble à vouloir perpétrer une fraude à l'endroit de la Cour Footnote 389. »

Même si l’on considère depuis longtemps au Canada l’inscription précoce de plaidoyers de culpabilité comme un facteur atténuant lors de la détermination de la peine, ce principe n’a jamais été codifié dans le Code criminel. Toutefois, dans un rapport de juin 2017 du Comité sénatorial sur les délais dans le système de justice pénale, les sénateurs ont recommandé la présentation d’une mesure législative par le ministre de la Justice en vue de modifier le Code criminel aux fins de l’ajout de ce principe à l’art. 718.2 à cet effet. Néanmoins, le Comité a précisé que : [Traduction] « des inscriptions précoces de plaidoyers de culpabilité ne conviennent que si elles reflètent les véritables intentions des accusés; les encourager ne devrait jamais forcer un accusé à transiger sur ses croyances selon lesquelles il est innocentFootnote 390. » L’article 718.2 sous sa forme actuelle, prévoit des circonstances atténuantes, mais ne donne aucun exemple. Ajouter comme facteur atténuant une inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité pourrait donner lieu à accorder trop d’importance à ce facteur lors de la détermination de la peine, si aucun autre n’est énuméré. Le présent Sous-comité est neutre quant à la question de savoir si le gouvernement fédéral devrait prévoir cette circonstance atténuante dans le Code criminel ou chercher à élaborer une liste plus exhaustive des facteurs atténuants aux fins d’inclusion au Code criminel. Nous recommandons uniquement que cette question fasse l’objet d’un examen soigneux et approfondi avant de modifier la loi à cet effet. Peu importe si le gouvernement fédéral choisit en fin de compte de codifier ce principe selon lequel l’inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité est un facteur atténuant lors de la détermination de la peine, isolément, soit dans le cadre d’une liste sur les facteurs atténuants, il serait peut-être utile d’examiner la possibilité d’inclure au Code criminel un principe fondamental selon lequel les participants au système de justice pénale doivent être sensibilisés au risque des faux plaidoyers de culpabilité et être au fait que certaines parties de la population peuvent être particulièrement à risque de les inscrire.

Le fait documenté selon lequel l’engagement par le procureur de la Couronne de solliciter une peine plus clémente en échange de l’inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité peut inciter des innocents à plaider coupables de crimes qu’ils n’ont pas commis soulève des questions qui portent au cœur de ce point : l’État devrait-il envisager d’abolirFootnote 391 ou à tout le moins de limiter dans une certaine mesure l’ampleur de la réduction de peine que les procureurs de la Couronne peuvent offrir à un accusé en échange d’une inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité, comme c’est déjà le cas au Royaume-UniFootnote 392? Les gouvernements devraient-il à tout le moins envisager d’examiner ce que nous savons de manière empirique le lien entre la pratique de longue date visant à offrir des peines plus clémentes en échange d’une inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité et de faux plaidoyers de culpabilité? Le gouvernement fédéral ou un autre organisme de recherche approprié au Canada devrait-il examiner l’approche ainsi que l’expérience d’autres pays, comme la Grande-Bretagne qui a choisi de limiter l’ampleur de la réduction de peine qui peut être offerte en échange d’une inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité, ou de divers États américains qui ont agi dans ce sens?

Il importe de souligner qu’au Canada, il est tout à fait approprié, licite et éthique pour les procureurs de la Couronne de conclure des ententes de plaidoyers, dans la mesure où ceux-ci respectent les politiques en matière de pourparlers de règlement et qu’ils, ainsi que les avocats de la défense, respectent le Code de déontologie auquel ils sont tenus. Cette partie a toutefois soulevé des questions importantes qu’il serait bon d’examiner de manière plus approfondie, étant donné que l’engagement de la Couronne de solliciter une peine plus clémente en échange d’une inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité est souvent au cœur des pourparlers de règlement. Il est nécessaire de discuter et d’examiner ces questions de manière plus étendue que ce qui a été abordé dans le cadre de ce chapitre. Le présent Sous-comité soulève simplement cette question dans le cadre d’un examen approfondi sur ce sujet importantFootnote 393.

Finalement, il suffit d’affirmer que tant qu’une inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité demeure un facteur atténuant susceptible de donner lieu à une peine plus clémente (et dans certains cas, à une peine beaucoup moins sévère) que celle qui aurait été imposée à l’issue d’une déclaration de culpabilité prononcée à la suite d’un procès, certains accusés innocents pourraient continuer de plaider coupables de crimes qu’ils n’ont pas commis, à moins que d’autres mesures de protection empêchent de tels faux plaidoyers de culpabilité.

2. Politiques de la Couronne à l’échelle nationale

Les procureurs de la Couronne, à titre d’acteurs étatiques, sont tenus de tout faire dans le cadre de leur mandat pour veiller à ce que les sanctions prévues par l’État, notamment la perte de liberté, ne soient imposées qu’à l’endroit de personnes qui ont perpétré les crimes pour lesquels elles sont inculpées. L’élaboration ainsi que l’évolution des politiques de la Couronne au Canada au fil des décennies concernant les pourparlers de règlement sont des moyens d’y parvenir. La Commission canadienne sur la détermination de la peine a recommandé en 1987 que les autorités provinciales et fédérales appropriées chargées des poursuites élaborent et cherchent à faire respecter les lignes directrices concernant le caractère éthique des négociations de plaidoyersFootnote 394. Deux ans plus tard, la Commission de réforme du droit du Canada a formulé une multitude de recommandations visant à favoriser des discussions à cet égardFootnote 395. De plus, dans le cadre des recommandations finales du Rapport Martin en 1993, il a été indiqué qu’il serait bon que le procureur général de l’Ontario émette des lignes directrices publiques aux fins de la mise en œuvre des nombreuses recommandations du Comité concernant les pourparlers de règlementFootnote 396.Footnote 397. » Il ajoute également : [Traduction] « Il n’y a rien de plus préjudiciable à l’intérêt public envers l’administration de la justice que la déclaration de culpabilité délibérée d’un innocentFootnote 398. »

De nos jours, 25 ans plus tard, tous les services de poursuite canadiens sont dotés de lignes directrices à l’intention des procureurs de la Couronne concernant les pourparlers de règlement, lesquelles régissent la conduite des procureurs provinciaux et fédéraux à l’échelle nationale et peuvent être généralement consultées en ligne par le public. Dans certains cas, ces lignes directrices existent depuis des décenniesFootnote 399.

La question de l’obligation du procureur de la Couronne de ne pas accepter un plaidoyer de culpabilité lorsqu’il est au fait de l’innocence de l’accusé ou s’en préoccupe est directement abordée dans les politiques de la plupart des services de poursuite canadiens. Toutefois, il y a une différence dans le libellé - certaines lignes directrices sont plus claires et de nature plus directive. Par exemple, la politique de la Saskatchewan indique que les procureurs de la Couronne ne doivent pas accepter un plaidoyer de culpabilité à l’égard d’un chef d’accusation, s’ils ont connaissance de l’innocence du prévenu. Dans son chapitre sur les pourparlers de règlement, le Guide du SPPC qui s’applique à l’ensemble des poursuites fédérales et qui comprend donc toutes les poursuites portant sur des infractions visées au Code criminel et à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS) dans les trois territoires ainsi que des questions concernant la LRCDAS et le Code criminel de nature provinciale, indique ce qui suit : « Il importe de souligner que les procureurs de la Couronne ne peuvent donner suite à une entente sur le plaidoyer, lorsqu’au regard de la preuve, la Couronne entretient des préoccupations ou a connaissance d’éléments pouvant disculper l’accusé dans les faitsFootnote 400. » Le libellé dans les lignes directrices en matière de poursuite en Nouvelle-Écosse, en Alberta et à l’Île-du-Prince-Édouard concernant les pourparlers de règlement est légèrement différent, mais interdit aux procureurs de la Couronne dans leur ensemble d’accepter des plaidoyers lorsque l’accusé continue d’affirmer son innocence. Les politiques de la Colombie-Britannique et du Nouveau-Brunswick exigent que l’accusé soit prêt à accepter sa culpabilité juridique et factuelle avant que la Couronne puisse accepter un plaidoyer de culpabilité. Terre-Neuve-et-Labrador requiert la reconnaissance par l’accusé de manière non équivoque de sa culpabilité et le caractère volontaire et éclairé du plaidoyer de culpabilité. La politique du Manitoba quant à elle, renvoie à l’obligation de la Couronne d’être guidée par l’intérêt public, à son obligation générale d’équité, à l’obligation de celle-ci de ne pas induire la Cour en erreur et au fait que les renseignements fournis à la Cour sur un plaidoyer de culpabilité doivent être acceptés par l’avocat de la défense ou puissent être prouvés par la Couronne hors de tout doute raisonnable en cas de contestation. La directive du Québec renvoie au fait que la Couronne ne peut accepter un plaidoyer de culpabilité à l’égard d’un chef d’accusation non étayé par la preuveFootnote 401. Le nouveau manuel de l’Ontario à l’intention des procureurs de la Couronne en vigueur depuis novembre 2017 met l’accent sur le fait que la Couronne ne devrait continuer la poursuite liée à un chef d’accusation que s’il y a une probabilité raisonnable de condamnation, une norme que les procureurs de la Couronne doivent appliquer dans toutes les affaires et à toutes les étapes.

Les politiques de la Couronne exigent également des procureurs de la Couronne qu’ils veillent au respect du critère de la décision d’intenter des poursuites relativement à l’infraction reprochée, même si une nouvelle fois, le libellé de ces politiques varie selon les services de poursuite. Par exemple, la Couronne fédérale ne peut donner suite à une accusation que s’il y a une probabilité raisonnable de condamnation compte tenu de la preuve qui sera vraisemblablement présentée au cours du procès relativement à l’infraction. Si la norme est respectée, il faut également que la poursuite soit dans l’intérêt publicFootnote 402.

Il est impossible d’examiner de manière exhaustive dans ce chapitre les politiques de la Couronne sur les pourparlers de règlement ainsi que les critères à observer dans les décisions d’intenter des poursuites applicables dans toutes les administrations. Néanmoins, selon le Sous-comité, toutes les politiques de la Couronne fournissant des directives aux procureurs de la Couronne dans les domaines susceptibles d’avoir une incidence sur la prévention des faux plaidoyers de culpabilité devraient être soigneusement examinées en vue de veiller à ce que l’on fournisse l’orientation nécessaire aux procureurs de la Couronne dans les politiques en matière de poursuite ainsi que les directives connexes en vue de réduire le risque que ceux-ci acceptent de faux plaidoyers de culpabilité à la suite de pourparlers de règlement.

3. Code de déontologie

Les cas connus au Canada d’innocents plaidant coupables aux fins de l’imposition d’une peine plus clémente ont amené certains à mettre en doute le caractère éthique et opportun des avocats de la défense qui inscrivent des plaidoyers de culpabilité au nom de clients qui clament leur innocenceFootnote 403. Diverses entités juridiques, comme la Commission de la réforme du droit du Canada dans son rapport de 1989Footnote 404, le Rapport MartinFootnote 405 et peut-être plus indirectement, les barreaux et les organismes analoguesFootnote 406 à l’échelle nationale, ont laissé entendre depuis des dizaines d’années que les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense devraient éviter d’assister à des ententes de plaidoyers concernant des accusés plaidant coupables à l’infraction reprochée alors qu’ils clament leur innocence ou lorsque ceux-ci ont connaissance de l’innocence de l’accusé ou peuvent l’établir. Néanmoins, même si le client clame son innocence auprès de l’avocat de la défense dans le cadre de conversations privées, en fin de compte, s’il veut plaider coupable, il peut trouver un moyen de le faire conformément au droit actuel et au libellé du Code de déontologie des barreaux du Canada. En vue de respecter le Code de déontologie qui commande notamment que les avocats n’induisent pas la Cour en erreurFootnote 407, dans les faits, les avocats de la défense gèrent cette situation de diverses manières. Parfois ils se retirent de l’affaire et le client qui souhaite plaider coupable fait appel à l’assistance d’un autre avocat et parfois ils informent la Cour qu’ils ne fourniront pas des services de soutien relativement au plaidoyer, mais qu’ils formuleront des observations en matière de détermination de la peineFootnote 408.

Les principales autorités canadiennes en matière de déontologie juridiqueFootnote 409 reconnaissent que le Code de déontologie au Canada manque simplement de clarté sur la question de savoir si un avocat peut représenter un client relativement à un plaidoyer de culpabilité si celui-ci continue de clamer son innocence. En fait, selon certains universitaires, il est temps pour les membres du milieu juridique et les tribunaux canadiens d’examiner directement cette question et d’élaborer une règle de conduite précise en matière éthique et juridique à cet égardFootnote 410.

La Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, l’organe national de coordination du Canada des 14 barreaux provinciaux et territoriaux qui régissent les avocats ainsi que les professionnels du milieu juridique connexes a approuvé un Code type de déontologie professionnelleFootnote 411. Même si chacun des barreaux canadiens a son propre Code de conduite à l’égard des avocats, le Code type de la Fédération a été mis en œuvre en totalité ou en partie par presque tous les barreauxFootnote 412. Ce Code est un guide utile dans la mesure où il établit des lignes de conduite nationales uniformes pour les avocats. Toutefois, il se peut que celles-ci ne soient pas encore suffisamment rigoureuses et précises pour répondre aux préoccupations à l’égard des faux plaidoyers de culpabilité. Par exemple, il est possible que la règle actuelle du Code type de la Fédération concernant les ententes de plaidoyers de culpabilité ne prévoit pas de mesures de protection suffisantes contre les faux plaidoyers de culpabilité. Les règles 5.1-8 (c) et (d) indiquent qu’un avocat d’un accusé actuel ou potentiel peut conclure une entente avec le procureur relativement à un plaidoyer de culpabilité, si après enquête, (c) « le client est volontairement disposé à admettre les données de fait et les éléments moraux de l’infraction de laquelle il est accusé » et (d) « le client demande volontairement à l’avocat de conclure une entente relative à un plaidoyer de culpabilité413. » Par conséquent, on exige uniquement de l’accusé qu’il soit disposé à admettre les éléments essentiels du crime. D’autres codes de déontologie professionnelle d’autres barreaux à l’échelle nationale prévoient un libellé analogueFootnote 414. Certains experts dans le domaine de la déontologie juridique font valoir que ce libellé peut être interprété de diverses manières : d’un côté, cela pourrait signifier qu’un avocat de la défense ne peut représenter un accusé relativement à un plaidoyer de culpabilité si celui-ci continue de clamer son innocence en privé. Toutefois, certains soutiennent que ce libellé ne s’applique qu’aux ententes de plaidoyers, ce qui laisse à penser que les avocats de la défense peuvent aller de l’avant pour ce qui est de plaidoyers de culpabilité de clients qui clament leur innocence, dans la mesure où cela ne se fait pas dans le cadre d’ententes. De plus, selon certains experts, l’expression « disposé à admettre » pourrait signifier que l’accusé doit être prêt à avouer publiquement sa culpabilité au cours des procédures de plaidoyer et de détermination de la peine, mais pas nécessairement au cours de discussions privées avec l’avocat de la défenseFootnote 415.

Les règles du chapitre 5 du Code type indiquent uniquement que les avocats de la défense doivent représenter leur client avec fermeté et dignité tout en étant juste, sincère, courtois et respectueux à l’endroit du tribunalFootnote 416. Cependant, le commentaire formulé à la note de bas de page 10 sous la règle 5.1-1 souligne que l’accusé doit être avisé que les aveux qu’il fait à un juriste peuvent assujettir la conduite de la défense à de strictes restrictions. En outre, aux termes de la règle 5.1-2 (b), lorsqu’il agit en tant qu’avocat, un juriste ne doit pas sciemment aider un client à agir ou permettre au client d’agir d’une façon que le juriste considère malhonnête ou déshonorante ou (e) ne doit pas tenter délibérément de tromper un tribunal ou d’influencer la façon dont la justice suit son cours en présentant de faux témoignages […]. De même, aux termes de la règle 5.1-3, lorsqu’il agit à titre de procureur, le juriste doit agir pour le public et l’administration de la justice « avec fermeté et dignité » tout en étant juste, sincère, courtois et respectueux à l’endroit du tribunal.

Malheureusement ces règles générales sont vagues et sujettes à interprétation. Les règles du Code type n’indiquent pas de manière expresse et précise qu’un plaidoyer de culpabilité ne peut être accepté que s’il est établi que l’accusé a commis l’infraction et si celui-ci avoue en être l’auteur. De plus, les règles ne prévoient pas clairement et directement les obligations professionnelles des avocats de la défense dans les cas pour lesquels le client souhaite plaider coupable alors qu’il continue de clamer son innocence à son avocat. Elles n’indiquent également pas qu’un procureur ne peut accepter un plaidoyer de culpabilité d’un accusé qu’il sait innocent ou comme principe fondamental, qu’il n’est jamais dans l’intérêt public d’accepter un plaidoyer de culpabilité ou de convenir d’une sanction à l’égard d’une personne qui n’a pas commis l’infraction pénale reprochée. Les barreaux canadiens devraient déterminer si le Code de déontologie professionnelle devrait traiter plus clairement et directement cette question.

Par contre, ce qui Footnote 417. Même si la signification de cette expression peut également être discutée, son côté pratique et logique empêcherait un avocat de faire valoir en Cour la culpabilité de son client lorsqu’il a connaissance de son innocenceFootnote 418. Toutefois, à quelle fréquence, le cas échéant, l’avocat a-t-il connaissance avec certitude de l’innocence de son client? Comme l’indiquent Layton et Proulx dans Ethics and Criminal Law, un avocat induit-il un tribunal en erreur s’il ne croit pas à l’innocence clamée par son client en privé ou n’est pas certain de la véracité de sa revendication d’innocenceFootnote 419?

Finalement, que peuvent faire des procureurs de la Couronne ainsi que des avocats de la Couronne lorsqu’un accusé insiste sur sa culpabilité et souhaite plaider en conséquence malgré leurs doutes à cet égard, si les faits étayent les éléments essentiels de l’infraction et que la norme de la poursuite a été respectée? Dans quelle mesure, l’avocat de la défense et le procureur de la Couronne peuvent-ils et devraient-ils jouer le rôle de gardien dans ces circonstances? Le rôle du juge au moment du plaidoyer devrait-il être élargi? Jusqu’à quel point les principaux participants au système de justice pénale peuvent-ils ou devraient-ils aller en vue de confirmer la véracité du plaidoyer de culpabilité? Quelles sont les limites de la responsabilité professionnelle à cet égard? Quelles autres mesures, le cas échéant, les organismes professionnels devraient-ils concrètement prendre en vue de réglementer la conduite professionnelle en la matière? Ces questions valides, importantes et pratiques nécessitent un examen plus approfondi.

4. Formation des juges

Comme indiqué au chapitre 7, l’Institut national de la magistrature offre des cours à l’intention des juges nommés par le gouvernement fédéral dans l’ensemble du pays, notamment un cours particulier sur les condamnations injustifiées. Lorsqu’il a été donné en 2017, on a examiné en partie les faux plaidoyers de culpabilité.

5. La magistrature et l’article 606 du Code criminel

Plaidoyers

ARTICLE 606

Plaidoyers autorisés

606. (1) L’accusé appelé à plaider peut s’avouer coupable ou nier sa culpabilité ou présenter les seuls moyens de défense spéciaux qu’autorise la présente partie.

Acceptation du plaidoyer de culpabilité

(1.1) Le tribunal ne peut accepter un plaidoyer de culpabilité que s’il est convaincu que les conditions suivantes sont remplies :

  1. le prévenu fait volontairement le plaidoyer; et
  2. le prévenu
    1. comprend que, en le faisant, il admet les éléments essentiels de l’infraction en cause,
    2. comprend la nature et les conséquences de sa décision, et
    3. sait que le tribunal n’est lié par aucun accord conclu entre lui et le poursuivant.

Validité du plaidoyer

(1.2) L’omission du tribunal de procéder à un examen approfondi pour vérifier la réalisation des conditions visées au paragraphe (1.1) ne porte pas atteinte à la validité du plaidoyer.

Refus de plaider

(2) En cas de refus de plaider ou de réponse indirecte de l’accusé, le tribunal ordonne au greffier d’inscrire un plaidoyer de non-culpabilité.


Les paragraphes (1.1) et (1.2) de l’article 606 du Code criminel sont relativement récents. Ils ont été présentés en 2002 et reflètent la proposition de libellé et de recommandations du Rapport Martin de 1993 dans lequel il a été indiqué que dans la mesure où il était acceptable aux États-Unis de plaider coupable tout en clamant son innocence, une enquête sur la compréhension du plaidoyer était souhaitable en Ontario du fait que l’on ne peut aller de l’avant avec un plaidoyer de culpabilité si l’accusé nie sa culpabilitéFootnote 420. Ce Rapport recommande que le Procureur général de l’Ontario sollicite une modification du Code criminel en vue de prévoir l’obligation pour un juge chargé de la détermination de la peine d’interroger l’accusé dans toutes les affaires pour lesquelles on pense inscrire un plaidoyer de culpabilité, en vue d’établir le caractère volontaire du plaidoyer ainsi que la compréhension par celui-ci de la nature et des conséquences d’une telle décision. Étant donné les répercussions possibles à l’égard d’un accusé, le Rapport Martin a indiqué qu’il serait recommandé que le juge du procès mène une enquête en audience publiqueFootnote 421.

En vertu de la common law canadienne, selon les tribunaux, le paragraphe (1.1) de l’article 606 signifie que pour qu’un plaidoyer de culpabilité soit valide, il doit être volontaire, sans équivoque et éclairéFootnote 422.

Toutefois, certains universitaires laissent entendre que le libellé actuel de l’article 606 du Code criminel n’est pas suffisamment exigeant ou rigoureux et qu’il n’exige pas assez de l’accusé ou du juge pour établir la culpabilité de ce premier. Selon certains universitaires, il n’y a aucune règle particulière limitant de manière adéquate la capacité des juges à accepter des plaidoyers dans ces circonstances ou exigeant d’eux de mener des enquêtes plus approfondies sur les fondements factuels sous-tendant les plaidoyers. Certains ont indiqué ce qui suit : [Traduction] « L’assistance inefficace des avocats ainsi que la passivité des juges à accepter des plaidoyers de culpabilité augmentent considérablement le risque de condamnations injustifiéesFootnote 423. »

En pratique, il semble que les juges puissent continuer à présumer que les avocats offrent des services de soutien efficaces aux accusés, à savoir des services de consultation appropriés quant aux moyens de défense disponibles, notamment l’incapacité de la Couronne d’établir l’élément mental exigé, lorsqu’il s’agit de l’avis de l’avocat de la défense. Cela étant dit, aux termes du libellé actuel de l’article 606, il suffit au juge de chercher à savoir si entre autres, l’accusé est disposé à admettre les éléments essentiels de l’infraction en cause. Il n’exige pas de ce dernier qu’il fasse enquête en vue de déterminer si l’accusé a en fait commis l’infractionFootnote 424. De plus, le défaut pour celui-ci de procéder à une enquête approfondie pour vérifier la réalisation des conditions visées au paragraphe (1.1) ne porte pas atteinte à la validité du plaidoyer de culpabilité, ce qui, selon certains universitaires, mine l’obligation à cet égard dont sont tenus les jugesFootnote 425. En bref, la loi exige uniquement qu’un accusé choisisseFootnote 426. [Traduction] « Des innocents accusés peuvent librement décider de plaider coupables, dans la mesure où ils comprennent qu’ils admettent les éléments essentiels de l’infraction, même s’ils mentent ou qu’ils ne savent pas en quoi ils consistentFootnote 427. » Autrement dit, l’article n’exige pas d’un accusé l’aveu volontaire et exprès d’être l’auteur de l’infraction et d’avoir eu la mens rea requise. Il n’enjoint pas non plus au juge de demander directement à l’accusé s’il est l’auteur de l’infraction en cause. Essentiellement, comme l’a indiqué un universitaire, l’article 606 permet au juge du procès d’éviter à avoir à poser cette questionFootnote 428.

En vue de répondre à ces préoccupations concernant les éléments essentiels de l’infraction, la Couronne, au cours de l’examen de l’exposé conjoint des faits sur lequel repose le plaidoyer de culpabilité, devrait s’assurer de renvoyer aux faits et aux éléments de preuve à l’appui de chaque élément essentiel de l’infraction, notamment la preuve étayant l’élément mental exigé de l’infraction, peu importe la gravité ou non du crime commis.

Selon certains universitaires, le problème majeur de l’article 606 est qu’il permet à la fois à l’accusé et au juge d’être « extrêmement passifs » et n’impose que peu de limites à l’accusé qui souhaite plaider coupable d’un crime qu’il n’a pas commisFootnote 429. Par exemple, selon certains experts canadiens, il faudrait que l’accusé inscrive personnellement le plaidoyer de culpabilité dans tous les cas et confirme l’exactitude des faits à l’appui du chef d’accusation, ce qui n’est pas le cas actuellement. En effet, l’avocat de la défense peut faire des aveux pour le compte de l’accusé. Certains universitaires font valoir que si l’accusé devait prendre ces mesures personnellement et publiquement en audience publique, il serait plus difficile pour des innocents de le faire dans la mesure où cela nécessite de mentir de manière flagranteFootnote 430. Il faudrait également que le juge soit légalement tenu d’entendre les faits justifiant l’accusationFootnote 431 et d’interroger l’accusé en vue de déterminer l’exactitude des faitsFootnote 432 ce qui rendrait l’inscription d’un faux plaidoyer de culpabilité plus difficile. Certains font valoir que le juge devrait être tenu d’interroger brièvement l’accusé afin qu’il explique directement son acte et les raisons s’y rattachant. Le juge ne devrait pas accepter le plaidoyer à moins qu’il ne soit convaincu que l’accusé admet honnêtement et fiablement tous les éléments de l’infractionFootnote 433. Même s’il se peut que ces pratiques soient déjà appliquées dans bon nombre de cas, les rendre légalement obligatoires permettrait de réduire le nombre de faux plaidoyers de culpabilité.

En bref, le professeur Christopher Sherrin a laissé entendre il y a quelques années déjà que le droit devrait être modifié sur trois points en vue de remédier aux lacunes de l’article 606 du Code criminel :

Le projet de loi C-75 qui a été présenté le 29 mars 2018 et que nous avons déjà mentionnéFootnote 435 prévoit des modifications importantes à l’article 606 en vue de répondre dans une certaine mesure aux préoccupations définies. On propose de modifier le paragraphe (1.1) de l’article 606 du Code criminel en vue de prévoir l’obligation pour un tribunal d’accepter un plaidoyer de culpabilité uniquement s’il est convaincu que les faits cadrent avec l’accusation. Il va de soi que si ce projet de loi était adopté, le juge devrait alors tenir particulièrement compte de chacun des éléments de l’accusation et des faits les appuyant.

Dans l’énoncé concernant la Charte accompagnant la présentation du projet de loi C -75, le gouvernement explique les raisons de ces modifications :

L’article 270 du projet de loi modifierait les dispositions du Code criminel en matière de plaidoyer de culpabilité en vue d’exiger que le tribunal soit convaincu que les faits justifient l’accusation, une condition nécessaire pour accepter un plaidoyer de culpabilité. Cette condition figure déjà à l’article 36 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA), qui reconnaît la vulnérabilité des adolescents. Les modifications s’expliquent par le fait que de nombreux adultes dans le système de justice pénale sont eux aussi vulnérables; celles-ci fourniraient une protection supplémentaire à l’accusé innocent qui plaide coupable parce qu’on lui a refusé la mise en liberté sous caution ou pour éviter d’attendre trop longtemps avant de subir son procès, en plus de favoriser le respect des droits à la liberté et à un procès équitable garantis par l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte.

En vertu de l’article 36(2) de la LSJPA, si un jeune plaide coupable, mais que le tribunal n’est pas convaincu que les faits justifient l’accusation, le procès doit suivre son cours et le juge, après avoir délibéré de l’affaire, déclare le jeune coupable ou non coupable, ou rejette l’accusation selon le casFootnote 436. Comme l’a indiqué la Cour d’appel de la Saskatchewan dans R. c. TL, l’article 36 vise à veiller à ce que les jeunes ne soient déclarés coupables qu’à l’égard des infractions découlant de leur conduiteFootnote 437. Également, aux termes de l’article 32(4) de la LSJPA, si un tribunal n’est pas convaincu de la compréhension par le jeune de l’accusation dont il fait l’objet, le juge doit inscrire un plaidoyer de non-culpabilité au nom de celui-ci et le procès doit suivre son cours conformément à l’article 36. (L’article 32 de cette même disposition législative prévoit des mesures de protection supplémentaires et connexes à l’égard des jeunes non représentés.)

Finalement, devant un tribunal pour adultes, certaines administrations se servent des formulaires de compréhension de plaidoyers, dans une certaine mesure, lorsque l’accusé (selon toute vraisemblance avec l’assistance d’un avocat de la défense) doit examiner des questions directes visant à déterminer s’il est l’auteur de l’infraction reprochée, y répondre et signer le formulaire en vue de mieux veiller à ce que ce soit le cas et qu’il comprenne bien les répercussions d’un plaidoyer de culpabilité. Ces formulaires examinent plus ou moins la question fondamentale liée à la culpabilité et peuvent varier en termes d’utilité et d’efficacité pour ce qui est d’identifier des innocents. Des exemples de ces formulaires figurent aux Annexes A et B.

6. Autres formes de plaidoyer

Une autre question qui ressort du débat public au Canada ainsi que de la jurisprudence est de savoir s’il faudrait autoriser d’autres possibilités de plaidoyers au Canada en vue de réduire le risque de faux plaidoyers de culpabilitéFootnote 438. Même si cette idée a été soulevée dans le Rapport du Comité sénatorial de juin 2017 intitulé : Justice différée, justice refusée, comme un moyen de réduire les délais dans le système de justice pénaleFootnote 439, cela pourrait aider à tout le moins certains accusés qui souhaitent régler leurs affaires sans inscrire un plaidoyer de culpabilité relativement à des crimes dont ils ne sont pas les auteurs. Par conséquent, il pourrait être utile d’examiner plus en profondeur cette question du moins en ce qui concerne les infractions mineures. Actuellement au Canada, deux possibilités juridiques s’offrent à un accusé : il peut plaider ou non coupableFootnote 440, alors que dans certaines administrations américaines, un accusé peut également inscrire ce qui s’appelle un plaidoyer « Alford » ou un plaidoyer de non-contestation (no contest) [nolo contendere]Footnote 441.

Dans le cadre du plaidoyer « Alford », un accusé plaide coupable tout en clamant son innocence alors que pour les cas dans lesquels des plaidoyers nolo contendere ont été inscrits (lesquels existent depuis le Moyen-Âge), un accusé refuse simplement d’avouer sa culpabilitéFootnote 442. Dans le cadre des plaidoyers nolo contendere, il n’y a ni aveu ni déni de culpabilité par l’accusé. Ce dernier accepte plutôt l’imposition d’une peine par le juge relativement à l’infraction en cause.

La Cour suprême des États-Unis dans North Carolina v. AlfordFootnote 443 a conclu qu’un plaidoyer de culpabilité n’était valide que s’il était volontaire et constituait un choix éclairé parmi les solutions de rechange disponiblesFootnote 444. Dans cette affaire, l’accusé a indiqué dans son témoignage qu’il n’était pas l’auteur du meurtre, mais qu’il plaidait coupable en vue d’éviter la peine capitale. En vertu de la loi de la Caroline du Nord d’alors, la peine après déclaration de culpabilité à l’égard d’un meurtre au premier degré était capitale à moins que le jury n’ait recommandé un emprisonnement à perpétuité.Footnote 445

Dans le Rapport sénatorial de 2017, un témoin a laissé entendre qu’une troisième possibilité autre qu’un plaidoyer de culpabilité ou de non-culpabilité pourrait être utile au Canada de sorte qu’il n’y aurait pas nécessairement un engorgement du système du fait de la contestation. Selon ce témoin, le recours à une troisième forme de plaidoyer pourrait s’avérer utile pour les infractions mineures et les catégories particulières de contrevenants, comme les délinquants vulnérables et les récidivistes ainsi que ceux qui se retrouvent souvent devant les tribunaux pour des raisons liées à la toxicomanie ou encore à des troubles de santé mentaleFootnote 446. Certains universitaires ont dans le même ordre d’idées fait valoir qu’il faudrait autoriser l’inscription de plaidoyers de culpabilité par des innocents, à tout le moins dans les affaires qui ont été qualifiées « à faibles enjeux » dans lesquelles d’une part, les accusés croient qu’ils ne peuvent assumer les frais financiers, émotionnels ou autres liés à la contestation de l’accusation et d’autre part, la peine imposée du fait que l’inscription d’un plaidoyer de culpabilité n’est pas jugée comme inacceptable. Selon ces universitaires, dans les affaires à forts enjeux, il est préférable pour les accusés de ne conclure aucune entente de plaidoyer ou à tout le moins de ne pas faire l’objet d’autant de pressions à cet égardFootnote 447. En revanche, dans le cadre d’un plaidoyer « Alford », l’accusé clame son innocence, mais convient de plaider coupable et de se voir imposer une peine sur la base d’un plaidoyer de culpabilité. Toutefois, l’inscription d’un plaidoyer de culpabilité permettrait de réduire la peine capitale à une peine d’emprisonnement à perpétuité.

Selon certains universitaires américains, ces deux autres formes de plaidoyers permettent plus facilement à des innocents dans cet État d’éviter des peines plus sévèresFootnote 448. Malgré ces possibilités américaines de plaidoyers, le Rapport Martin a conclu ce qui suit Footnote 449. »

Le Sous-comité ne se prononce pas sur ces autres formes de plaidoyers américains. Ils ne sont mentionnés qu’aux fins de la prestation de renseignements sur la manière dont d’autres pays règlent les problèmes juridiques similaires dans leurs systèmes de justice pénale et en vue de déterminer aux fins d’examen plus poussé, toutes les possibilités, le cas échéant, susceptibles de jouer un rôle pour réduire le risque de faux plaidoyers de culpabilité au Canada.

7. Commentaire sur les ressources

Finalement, le Sous-comité fait une remarque d’ordre général selon laquelle on peut s’attendre à ce que les services de police et de poursuite dotés des ressources suffisantes ainsi que les régimes d’aide juridique permettant à des accusés indigents d’être représentés par un avocat de la défense contribuent à la réduction du risque de faux plaidoyers de culpabilité. Des ressources suffisantes permettent une dotation adéquate et une formation appropriée des agents de police ainsi que des procureurs de la Couronne, ce qui ensuite permet la conduite appropriée et exhaustive d’enquêtes de police, un examen préalable des dossiers par la Couronne ainsi que des poursuites lorsque le critère de la décision d’intenter des poursuites a été satisfait. De même, un financement approprié des régimes d’aide juridique peut permettre à des accusés démunis de recevoir des services d’aide appropriés d’un avocat de la défense.

VI. Recommandations

  1. Le gouvernement fédéral ainsi que d’autres entités fédérales et provinciales appropriées au Canada devraient effectuer des travaux de recherche sur les questions suivantes :
    1. les circonstances liées aux faux plaidoyers de culpabilité au Canada;
    2. l’ampleur du phénomène;
    3. la mesure dans laquelle certains groupes sont plus à risque d’inscrire de faux plaidoyers de culpabilité, et le cas échéant, quelles en sont les raisons; et
    4. quelles modifications faudrait-il apporter, le cas échéant, pour réduire le risque de faux plaidoyers de culpabilité au Canada.

    Plus précisément, ces travaux de recherche devraient examiner :

    • Les facteurs définis comme contribuant à l’inscription de faux plaidoyers de culpabilité, en vue de déterminer l’importance de chacun d’entre eux, comme les répercussions d’un refus de mise en liberté sous caution ou de se voir offrir des peines plus clémentes en échange de plaidoyers de culpabilité;
    • L’incidence des modifications proposées relativement à l’article 606 du Code criminel dans le projet de loi C-75, s’il est adopté, en vue de déterminer si elles répondent aux préoccupations formulées dans cette partie également exprimées par la doctrine;
    • Le principe de longue date selon lequel l’inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité est un facteur atténuant lors de la détermination de la peine et son lien avec les faux plaidoyers de culpabilité;
    • L’expérience d’autres pays, comme la Grande-Bretagne et diverses administrations américaines qui ont limité l’ampleur de la réduction de peine offerte à un accusé en échange d’une inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité ou encore des ententes de plaidoyers interdites ou restreintes en vue d’évaluer les répercussions de telles approches sur la diminution du risque de faux plaidoyers de culpabilité;
    • Déterminer s’il faudrait apporter d’autres modifications au Code criminel en vue de mieux se prémunir contre les faux plaidoyers de culpabilité;
    • Déterminer si l’on devrait offrir à un accusé au Canada d’autres possibilités en matière de plaidoyer; et
    • Déterminer si le recours obligatoire à un formulaire type uniforme de compréhension de plaidoyer au Canada permettrait de réduire le risque de faux plaidoyers de culpabilité.
  2. Les services de poursuite au Canada devraient examiner les politiques de la Couronne concernant les pourparlers de règlement et autres politiques pertinentes, comme la décision d’intenter des poursuites ainsi que les politiques en matière de mise en liberté sous caution, en vue de veiller à ce qu’elles prévoient des mesures de protection adéquates, des lignes directrices ainsi qu’une orientation claire à l’égard des procureurs en vue de permettre de se prémunir contre de faux plaidoyers de culpabilité.

    Plus précisément :

    1. Tous les services de poursuite doivent être dotés de politiques dans le cadre desquelles il est indiqué qu’il ne peut y avoir dépôt d’une accusation criminelle à moins qu’il y ait une probabilité raisonnable de condamnation ou une formulation à cet effet. Toutes les politiques sur la décision d’intenter des poursuites de services de poursuite de la Couronne devraient être examinées en vue de veiller à ce qu’il y soit clairement indiqué que le procureur de la Couronne ne peut intenter des poursuites que si le critère de la décision d’intenter des poursuites a été observé et qu’il ne peut y avoir des ententes de plaidoyers lorsque cette norme n’est pas respectéeFootnote 450;
    2. Au cours des pourparlers de règlement, les procureurs de la Couronne devraient être sensibilisés aux risques suivants :
      1. l’inscription précoce d’un plaidoyer de culpabilité peut encourager un innocent à plaider coupable; et
      2. un innocent détenu, plus particulièrement pour une infraction mineure, peut être amené à plaider coupable.
  3. La Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada ainsi que les barreaux fédéraux et provinciaux devraient examiner leur Code de déontologie en vue de veiller à ce qu’il oriente de manière claire et appropriée les avocats de la défense et les procureurs de la Couronne, dans la mesure du possible, en vue de mieux se prémunir contre l’inscription de plaidoyers de culpabilité par des innocents.
  4. Au Canada, il faudrait encourager l’Institut national de la magistrature et d’autres organisations fournissant des ressources ainsi que des programmes éducatifs aux juges à communiquer des renseignements comprenant l’état des travaux de recherche sur le phénomène de faux plaidoyers de culpabilité au Canada ainsi que le rôle joué par les juges aux fins de leur prévention.

Annexe A

Entente d’inscription d’un plaidoyer de culpabilité

Je, ____________________________________, suis accusé(e) de l’infraction de :

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________.

Je comprends que le procureur sollicite un plaidoyer de culpabilité relativement aux chefs d’accusation suivants :

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________.

Je lis, écris et parle l’anglais OU je comprends l’interprète ordonné par le tribunal qui m’offrira des services de soutien au cours des audiences.

Je ne prends aucun médicament, pilule, drogue, alcool ou substance susceptibles d’avoir des répercussions sur ma capacité à prendre une décision quant à l’approche à adopter à l’égard des chefs d’accusation ou sur ma compréhension des conséquences possibles lorsque j’inscris un plaidoyer de culpabilité devant le tribunal.

J’ai discuté avec l’avocat de garde (ou mon avocat) et nous avons examiné toutes les questions concernant ma compréhension des accusations portées à mon encontre et du présent plaidoyer de culpabilité, et nous y avons répondu.

Avant d’inscrire le présent plaidoyer, je conviens d’avoir été informé(e) des points suivants et de les comprendre :

  1. J’ai le droit de plaider non coupable et de subir un procès. Au cours de ce dernier, la poursuite devra présenter contre moi une preuve hors de tout doute raisonnable. Je conviens de plaider coupable et de renoncer à mon droit d’être jugé(e).
    • Oui
    • Non
    • ______________________________ Initiales
  2. J’inscris un plaidoyer de culpabilité de manière volontaire sans pression de la part de qui que ce soit.
    • Oui
    • Non
    • ______________________________ Initiales
  3. J’ai consulté les faits contenus dans le document écrit (« Sommaire ») remis par la poursuite et je suis disposé(e) à admettre leur véracité. Je comprends que le juge puisse discuter de ces faits avec moi avant d’accepter mon plaidoyer de culpabilité.
    • Oui
    • Non
    • ______________________________ Initiales
  4. Je comprends qu’à la suite de ce plaidoyer de culpabilité j’aurais un casier judiciaire (ou si j’en ai déjà un, qu’il sera plus lourd).
    • Oui
    • Non
    • ______________________________ Initiales
  5. On m’a informé(e) que la poursuite sollicitera la peine suivante :

    ________________________________________________________________

    ________________________________________________________________.

    Je comprends que je puisse convenir de la peine sollicitée par le procureur (observation conjointe) ou que je puisse en proposer une autre (observation ouverte).

    • Oui
    • Non
    • ______________________________ Initiales
  6. Je comprends que le juge n’a pas à accepter la peine proposée par le procureur ou moi-même. Je comprends que le juge puisse s’entretenir avec moi à cet égard avant de décider de la peine appropriée à imposer et qu’il puisse infliger une peine moindre ou plus sévère que celle proposée par le procureur.
    • Oui
    • Non
    • ______________________________ Initiales
  7. Je suis au fait que d’autres peines indirectes peuvent être imposées du fait de l’inscription de ce plaidoyer de culpabilité, notamment le droit de demeurer au Canada ou l’impossibilité de voyager dans d’autres pays, ma capacité à avoir droit à un permis de conduire, à des primes d’assurance-automobile et à toute procédure en matière de droit de la famille ainsi qu’en ce qui a trait à mon emploi actuel et à de futures occasions d’emploi. Je suis au fait de mon droit de consulter un avocat qui m’avisera à cet égard avant que je décide d’inscrire un plaidoyer de culpabilité.
    • Oui
    • Non
    • ______________________________ Initiales

    Signature de l’accusé(e) :_____________________________________________

    Signature du témoin : ________________________________________________

    Date : _____________________________________________________________

Annexe B

Modification : 14 septembre 2016

ENQUÊTE DE COMPRÉHENSION DU PLAIDOYER

Je ____________________________________, né (e) le : ___________________

déclare avoir informé mon avocat de mon souhait de plaider coupable relativement aux accusations suivantes :

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________.

J’ai demandé à mon avocat du bureau des avocats de service de me représenter relativement au présent plaidoyer de culpabilité.

Je suis au fait de la position de la Couronne sur la peine comme suit : (notamment les accusations pour lesquelles le prévenu plaide coupable et la position de la Couronne).

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________

_________________________________________________________________.

Je suis au fait que l’avocat, en mon nom, recommandera au juge la peine appropriée suivante :

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________

_________________________________________________________________.

Je comprends que :

___________________________________________________________________

En outre, mon avocat m’a expliqué les conséquences d’un plaidoyer de culpabilité. Je comprends que :

[Le cas échéant, mon avocat devrait indiquer la réponse appropriée] :

Je refuse de ________________________________________________________

Je me suis directement entretenu(e) avec un avocat spécialisé en droit de l’immigration ______________________________________________________

Mon avocat a sollicité les conseils d’un avocat spécialisé en droit de l’immigration en mon nom _______________________________________________________

Je comprends que les renseignements contenus dans ce formulaire visent à clarifier les conséquences d’un plaidoyer de culpabilité. Ma signature n’est pas un engagement d’inscrire un plaidoyer de culpabilité et je peux changer d’avis au sujet de mon plaidoyer en tout temps jusqu’à l’inscription de celui-ci en Cour. »

(*Informer le client de toute autre conséquence ou conséquence accessoire connue et l’indiquer.) Autres directives ou personnalisation d’un plaidoyer de culpabilité

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________

__________________________________________________________________

Signature de l’accusé(e) ______________________________________________

Date ________________________ Avocat ____________________________

Cette demande de renseignements DOIT être remplie pour CHAQUE plaidoyer représenté par un avocat (salarié et journalier) pour les clients en détention ou non et être jointe à l’évaluation initiale.

Directives à l’avocat :

  1. Il ne doit pas fournir des services de soutien relativement au plaidoyer, de quelque manière que ce soit, notamment la détermination de la peine, lorsque l’accusé n’a pas avoué les éléments essentiels de l’infraction.
  2. Il doit demander au juge d’effectuer l’enquête prévue à l’article 606 au dossier, en dépit de l’utilisation de ce formulaire.
  3. Il ne devrait pas admettre les faits au dossier au nom de l’accusé. Il faudrait demander à ce dernier de les admettre personnellement.
  4. Lorsqu’en raison du plaidoyer des conséquences en matière d’immigration sont possibles, il faudrait que l’avocat obtienne la permission de l’accusé d’indiquer au dossier qu’il l’a avisé de demander conseil en matière d’immigration avant d’inscrire le plaidoyer et que celui-ci a choisi aujourd’hui d’aller de l’avant sans se renseigner à cet égard. Si le client ne souhaite pas que ces renseignements figurent au dossier, l’avocat devrait l’informer que le tribunal peut, de son propre chef, lui poser des questions relatives à son statut d’immigrant et que celui-ci lui renverra directement la question aux fins de réponse.

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