Partie VI POLITIQUE APPLICABLE À CERTAINS TYPES DE LITIGES Chapitre 28
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Table des matières
- 28 LA VIOLENCE CONJUGALE
- 28.1 INTRODUCTION
- 28.2 L’APPLICATION DE LA POLITIQUE
- 28.3 LE FONCTIONNEMENT DE LA POLITIQUE
- 28.4 LA MISE EN LIBERTÉ
- 28.5 LE DOSSIER DE LA COURONNE
- 28.6 LE MANQUEMENT AUX CONDITIONS DU CAUTIONNEMENT
- 28.7 LA PRÉPARATION DES TÉMOINS
- 28.8 LE TÉMOIN RÉTICENT
- 28.9 LES ENFANTS ASSIGNÉS COMME TÉMOINS
- 28.10 L’ABANDON DES PROCÉDURES
- 28.11 LA DÉTERMINATION DE LA PEINE
28 LA VIOLENCE CONJUGALE
28.1 Introduction
Même si la violence physique envers une autre personne a toujours été une infraction criminelle, lorsque cette violence se produisait dans le contexte familial, elle n’a pas toujours été traitée comme un crimeNote de bas de page 1. De nos jours, l’approche est différente: on reconnaît que la violence conjugale ne saurait être tolérée et qu’elle doit être considérée comme étant une activité criminelle. De même, il est important de reconnaître certains aspects particuliers de la violence conjugale :
- elle se produit couramment dans tous les secteurs de la sociétéNote de bas de page 2;
- le degré de violence peut être mortel : au Canada, plus de femmes meurent des conséquences des actes de leur partenaire que pour toute autre cause de violenceNote de bas de page 3;
- elle est coûteuseNote de bas de page 4 et les effets physiques, émotifs, psychologiques et financiers durent longtemps;
- elle tend à se répéter jusqu’à ce que le cercle de la violence soit brisé par un facteur extérieur; et
- une personne subissant de la violence physique est souvent liée financièrement et émotivement au délinquant de manière à ce que toutes sanctions infligées à ce dernier peuvent aussi avoir des effets négatifs à l’égard du/de la plaignant(e).
En décembre 1983, le Procureur général du Canada et le Solliciteur général du Canada ont émis des politiques conjointes sur les enquêtes et les poursuites en matière de violence conjugale. Les politiques visaient à décharger les plaignant(e)s de la responsabilité de voir à ce que des accusations criminelles soient portées et poursuivies, à améliorer la protection et l’aide aux plaignant(e)s et à s’assurer que les enquêteurs de la police et les procureurs de la Couronne accorderaient la priorité aux affaires de violence conjugale. Ces objectifs demeurent inchangés.
Toutefois, malgré cet engagement à prendre des mesures sévères, il faut se rendre à l’évidence que l’incidence de la violence conjugale reste toujours aussi élevée; cet état de chose est inadmissible. De plus, il faut également reconnaître que les politiques elles-mêmes, lorsqu’elles sont appliquées de façon inflexible, peuvent avoir des conséquences négatives non envisagées pour les victimes de la violence conjugale. Par conséquent, la présente politique s’inspire de nos expériences depuis 1983 en vue d’atteindre l’objectif de diminuer la violence conjugale.
28.2 L’application de la politique
Cette politique concerne la « violence conjugale
», qui peut avoir comme définition toute infraction criminelle où une personne fait usage de violence contre une autre personne, menace d’y avoir recours ou tente de le faire, dans le contexte d’une relation conjugale entre partenaires. Le mot « partenaires
» englobe les maris et femmes, les conjoints de faits et les partenaires de même sexe. Même si bon nombre des principes énoncés dans la présente politique, ou la plupart de ceux-ci, s’appliquent également à d’autres types de violence familiale, notamment la violence contre les enfants ou les aînés, la politique ne vise pas spécifiquement ces situations.
La présente politique tend à refléter les circonstances particulières qui règnent dans les endroits où elle s’applique, à savoir les trois territoires du Canada. Ces circonstances englobent le fait que dans plusieurs petites communautés du Nord, les options dont peuvent se prévaloir les victimes de violence conjugale sont parfois limitées parce que, par exemple :
- il se peut que la victime n’ait guère accès aux types d’aide dont peuvent se prévaloir les victimes dans les communautés du Sud du Canada, soit les refuges d’urgence ou les services de counselling;
- la victime peut faire face à des pressions exercées par la communauté afin qu’elle ne signale pas l’infraction; et
- l’interdiction absolue de tout contact avec l’abuseur présumé dans une communauté isolée peut être irréaliste.
Selon la politique, il incombe principalement à la police et au procureur de la Couronne de prendre une décision en matière de poursuites, et non aux plaignant(e)s. À toutes les étapes du processus criminel, le procureur de la Couronne doit mener les consultations appropriées qui s’imposent auprès de la police et du/de la plaignant(e) afin de s’assurer que celui/celle-ci est protégé(e), informé(e) et appuyé(e).
La politique vise à guider le procureur de la Couronne dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, et non à le supprimer. Le procureur de la Couronne doit envisager et appliquer d’autres politiques prévues dans le Manuel, y compris la politique concernant la « Décision d’intenter des poursuitesNote de bas de page 5
» et la politique concernant les « Victimes du CrimeNote de bas de page 6
», tout en gardant à l’esprit l’intérêt important que porte la société à la réprobation et à la dissuasion de la violence conjugaleNote de bas de page 7.
28.3 Le fonctionnement de la politique
28.3.1 La déjudiciarisation des accusations
En raison de la prédominance de ces infractions et des dangers qu'elles posent, l’intérêt public est généralement mieux servi par l'institution de poursuites contre l'auteur de la violence conjugale plutôt que par la déjudiciarisationNote de bas de page 8; ces infractions ne doivent pas être considérées comme des infractions « mineures
».
Néanmoins, comme les victimes de la violence et le public sont mieux protégés par des règlements qui appuyent l'objectif de briser ce qui pourrait être un cycle de violence, il convient d'envisager des mesures de rechange aux poursuites susceptibles d'aider à atteindre cet objectif. Cette politique ne vise pas à faire obstacle aux approches innovatrices en matière de violence conjugale élaborées et appuyées par les intervenants pertinents : les victimes et leurs groupes d'aide, les communautés locales, les gouvernements territoriaux et la G.R.C.
Par conséquent, le procureur de la Couronne peut envisager la déjudiciarisation des cas de violence conjugale dans les cas exceptionnelsNote de bas de page 9 où :
- le/la plaignant(e) souhaite envisager des mesures de rechange à la poursuite;
Cette condition est impérative. Le/la plaignant(e) doit consentir véritablement. Cette condition ne sera pas respectée, par exemple, s'il y a des raisons de croire que le consentement du/de la plaignant(e) a été obtenu sous la contrainte.
La plupart ou toutes les conditions suivantes doivent également exister : - la violence en cause était minimale;
- le délinquant n’a aucun antécédent en matière de violence conjugale ou d’autres formes de violence, permettant ainsi de qualifier de «
faible
» le risque pour la sécurité du/de la plaignant(e) ; - le délinquant démontre qu’il veut changer de comportement (comme en fait foi, par exemple, sa participation à des séances de counselling); et
- le programme de déjudiciarisation proposé diminuera vraisemblablement la répétition du comportement violent.
28.4 La mise en liberté
28.4.1 La conduite de l’audience sur cautionnementNote de bas de page 10
Le procureur de la Couronne doit demander à la police suffisamment d’information pour permettre de déterminer si la mise en liberté du présumé délinquant poserait un risque déraisonnable pour la sécurité du/de la plaignant(e). Le procureur doit être conscient du fait que, dans certains cas, si le présumé délinquant n’est pas mis sous garde, le/la plaignant(e) et les enfants seront obligés de quitter la résidence familiale. Lorsque la cour est satisfaite que le présumé délinquant peut être remis en liberté, elle imposera généralement certaines restrictions afin d’assurer à la fois la sécurité du/de la plaignant(e) et préserver l’intégrité de la poursuite. Ces restrictions peuvent inclure:
- une interdiction de communiquer directement ou indirectement avec le/la plaignant(e)Note de bas de page 11;
- des modalités concernant la garde et les droits de visite par l’entremise d’une tierce partie impartiale;
- une obligation de verser une pension alimentaire pour les personnes à charge, comme l’exige la loi;
- une interdiction de se rendre à la résidence ou au lieu de travail du/de la plaignant(e) ou près de ces endroits; et
- la remise de toutes les armes à feu, les munitions, les explosifs et les certificats d’acquisition d’armes à feuNote de bas de page 12.
Dans les affaires de violence conjugale, le/la plaignant(e) peut exprimer ou démontrer une réticence à continuer les démarches en vue de l’arrestation et de la poursuite du suspect. Même si la position du/de la plaignant(e) est toujours pertinente, il convient de se rappeler qu’il incombe à la police de faire enquête et au procureur de la Couronne d’intenter des poursuites. Par conséquent, le procureur de la Couronne doit envisager la question de la mise en liberté avant procès sans se préoccuper du fait que le/la plaignant(e) est susceptible de continuer sa relation avec l’accusé ou de collaborer lors de la poursuite des accusations portées, et il doit considérer toutes les conditions de la mise en liberté qui sont nécessaires afin de préserver les éléments de preuve, de protéger le/la plaignant(e) et d’éviter la perpétration de toute autre infraction.
En règle générale, le procureur de la Couronne ne doit pas faire témoigner le/la plaignant(e) lors de l’audition sur la mise en liberté provisoire. Compte tenu du fait que le processus de poursuite est de nature importune et traumatisante du point de vue du/de la plaignant(e), il revient au procureur de la Couronne de faire tout ce qui est possible pour atténuer l’intrusion et le traumatisme. Toutefois, le procureur de la Couronne doit simultanément faire tout ce qui est possible pour s’assurer que la preuve des infractions de violence conjugale sera présentée de façon intégrale et franche. Par conséquent, le procureur de la Couronne peut choisir de faire témoigner le/la plaignant(e) lors de l’audition sur la mise en liberté provisoire après avoir bien évalué l’intérêt du/de la plaignant(e) lorsque la bonne gestion du cas l’exige. Par exemple, lorsque le procureur de la Couronne s’oppose à la mise en liberté d’une personne accusée de violence conjugale et que le/la plaignant(e) est disposé(e) à collaborer, à ce moment, à la poursuite du cas, il peut juger opportun de faire témoigner le/la plaignant(e) et de verser son témoignage au dossier afin d’obtenir une déclaration susceptible d’être utilisée au procès à titre de preuve de fond dans le cas où les conditions légales requises pour admettre la déclaration seraient remplies.
Lorsque l’accusé est remis en liberté, il faut faire tout ce qui est raisonnable de faire pour remettre une copie des conditions de la mise en liberté au/à la plaignant(e) aussitôt que possible. Dans le cas où le/la plaignant(e) est déménagé(e) dans une autre communauté et que le poursuivant en est au courant, le service de police le plus près du/de la plaignant(e) doit être informé des conditions de la mise en liberté. Il est important de fournir une copie des conditions de la mise en liberté et au service de police dans la communauté de l'accusé et à celui dans la communauté du/de la plaignant(e).
28.5 Le dossier de la Couronne
Les gestionnaires des bureaux régionaux doivent discuter avec la G.R.C. de toutes les questions pertinentes à la communication de la preuve et conclure un accord au sujet du contenu et de l’opportunité de la communication. Le dossier de la Couronne doit contenir, au moins :
- un résumé de l’enquête;
- toute déclaration faite par le/la plaignant(e) à la police ou à d’autres personnes, et les circonstances entourant ces déclarations;
- les détails ou les photographies des blessures, ou des dommages aux biens reliés à l’enquête;
- les détails de la façon dont toute déclaration du/de la plaignant(e) a été recueillie, c’est-à-dire mise par écrit, signée par celui/celle-ci, si elle a été enregistrée par audio ou vidéo, si elle a été faite sous serment ou après tout avis ou mise en garde;
- les détails de tout indice permettant de croire que le/la plaignant(e) pourrait être réticent(e) à collaborer lors de l’enquête et de la poursuite des accusations portées;
- les détails concernant tout témoin des infractions, ou des blessures subies;
- les détails de toute déclaration faite par la personne accusée et de toute note ou transcription de cette déclaration;
- le casier judiciaire de l’accusé, y compris les détails des infractions de violence conjugale ou d’autres infractions de violence;
- un résumé de l’implication passée de la police concernant cet accusé et de l’enquête au sujet des infractions précédentes de violence conjugale; et
- les détails de toute tentative faite par l’accusé pour communiquer avec la victime et ce, en contravention d’une ordonnance d’un tribunal.
28.5.1 L’examen du dossier de la Couronne
Lors de la réception d’un dossier concernant une allégation de violence conjugale, le dossier sera examiné le plus tôt possible par un procureur de la Couronne. Celui-ci doit :
- évaluer si le dossier est bien complet;
- rencontrer le/la plaignant(e), si possible, ou demander au service d’aide aux victimes témoins de le/la rencontrer;
- s’assurer que les accusations appropriées ont été portées par l’enquêteur; et
- évaluer si d’autres mesures d’enquête sont nécessaires, notamment une déclaration enregistrée sur bande vidéo.
28.5.2 La révision de la détention ou des conditions de mise en liberté
Dans les affaires de violence conjugale, il arrive fréquemment que le/la plaignant(e) fasse savoir, à l’issue de l’audience de cautionnement, qu’elle souhaite reprendre les communications ou même la vie commune avec l’accusé. Il arrive souvent que la position du/de la plaignant(e) au sujet de ces questions évolue au fil du temps. Il convient d’accorder beaucoup de poids aux souhaits du/de la plaignant(e) dans ces situations, mais ils ne doivent pas être tenus comme concluants. Le procureur de la Couronne doit considérer:
- la source de l’information concernant les souhaits du/de la plaignant(e) – il se peut qu’il soit nécessaire de parler directement au/à la plaignant(e);
- toute historique de violence dans la relation; et
- la question de savoir si une condition spécifique pourrait répondre adéquatement aux risques de préjudice envers le/la plaignant(e) ou à l’intégrité de la poursuite.
28.6 Le manquement aux conditions du cautionnement
En règle générale, un manquement aux conditions du cautionnement imposées dans le cas d’une infraction de violence conjugale fera l’objet d’une poursuite, plus particulièrement lorsque la violation comporte une autre infraction de violence conjugale ou une entrave à la sécurité du/de la plaignant(e) initial(e). Il ne s’ensuit nullement une restriction du pouvoir discrétionnaire du procureur de la Couronne en matière de négociation sur plaidoyer et sur la détermination de la peine. Le procureur de la Couronne doit également envisager de contester la mise en liberté de l’accusé dans le cas de l’infraction de manquement et, lorsque l’accusé est détenu, il devrait demander une ordonnance annulant la mise en liberté de l’accusé dans le cas de l’infraction originale, conformément au paragraphe 524(8) du Code criminel. Le procureur de la Couronne doit également envisager de demander une ordonnance de non-communication en vertu du paragraphe 515(12) du Code criminel lorsque l’accusé est détenu.
28.7 La préparation des témoins
La préparation des témoins est une fonction essentielle du procureur de la Couronne chargé des poursuites en matière de violence conjugale, et il est souvent aidé dans cette tâche par les services d’aide aux victimes témoins. Le procureur de la Couronne devrait tenter d’appuyer, d’encourager et d’être compréhensif; il ne doit pas porter de jugement lorsque le/la plaignant(e)/victime hésite, mais il doit le/la rassurer qu’il est sage et prudent pour un(e) plaignant(e) craintif(ve) de demander le support et la protection du système de justice pénale. Après avoir examiné le dossier de la poursuite en compagnie de l’officier enquêteur, le procureur de la Couronne devrait, lorsque la chose est possible, rencontrer le/la plaignant(e) dans un endroit privé et confortable et :
- lui expliquer la politique sur les poursuites pour violence conjugale;
- lui expliquer le rôle des procureurs de la Couronne et de la défense dans de telles procédures;
- lui expliquer le rôle d’un témoin à la cour;
- évaluer la fiabilité du/de la plaignant(e) en tant que témoin;
- l'encourager à témoigner avec sincérité au sujet de ce qui s’est passé;
- lui signaler toutes conditions imposées à l’accusé pour sa remise en liberté et déterminer si le/la plaignant(e) a des inquiétudes face au respect de ces conditions par l’accusé;
- confirmer qu'il/elle a été informé(e) des services communautaires disponibles, y compris des services d’aide aux victimes témoins lorsque ceux-ci sont disponibles;
- tenter de répondre à toutes questions, y compris discuter de toutes préoccupations continues en matière de sécurité; et
- veiller à ce que le/la plaignant(e) ait été informé(e) du fait qu'il/elle a l'occasion de faire une déclaration d’impact sur la victime.
28.8 Le témoin réticent
En matière d’infractions de violence conjugale, le procureur de la Couronne peut constater que bon nombre de plaignant(e)s seront réticent(e)s à témoigner pour plusieurs raisons complexes. Les témoins réticents dans ces cas méritent une attention spéciale.
Les recherches ont démontré que plus le/la plaignant(e) reçoit de support et plus celui-ci arrive tôt dans le processus, moins il/elle est susceptible de se rétracter ou d’être réticent(e) à témoigner. Par conséquent, et plus particulièrement lorsque l’on craint que le/la plaignant(e) se rétracte, le procureur de la Couronne devrait faire tout ce qui est raisonnablement possible pour appuyer le/la plaignant(e), y compris :
- demander l’intervention tôt dans le processus d’un service d’aide aux victimes témoins ou d’une autre personne susceptible d’offrir une aide; et
- présenter une demande en vertu des dispositions suivantes :
- paragraphe 486(1) (huis clos)
- paragraphe 486(2.1) (témoignage derrière un écran ou par un dispositif de télévision en circuit fermé lorsque le/la plaignant(e) est âgé(e) de moins de 18 ans)
- paragraphe 486(3) (ordonnance limitant la publication ou la diffusion de l’identité du/de la plaignant(e) dans les cas d’infractions de nature sexuelle).
28.8.1 Lorsque le témoin ne se présente pas
Lorsque le/la plaignant(e) fait défaut de se présenter devant le tribunal à l’issue d’un subpoena, le procureur de la Couronne doit faire tout ce qui est raisonnablement possible pour déterminer la cause de l’absence de la personne. Compte tenu de cette information, de sa connaissance des circonstances personnelles du/de la plaignant(e) et de la gravité de l’infraction, le procureur de la Couronne doit envisager quatre options :
- demander un ajournement si la preuve que doit fournir le/la plaignant(e) est essentielle à la cause et que son absence est inévitable, par exemple parce que le/la plaignant(e) est malade;
- procéder lorsque l’accusation peut être prouvée par le témoignage d’autres personnes;
- demander la délivrance d’un mandat lorsque la preuve du/de la plaignant(e) est essentielle, qu’aucune information n’est disponible concernant les raisons de son absence et qu’il s’agit d’une infraction grave; et
- demander l’arrêt des procédures ou ne présenter aucune preuve lorsque l’infraction est moins grave, que le présumé délinquant n’est pas considéré comme une personne dangereuse et que l’arrestation du/de la plaignant(e) ne servirait qu’à la victimiser davantage.
L’on ne doit pas considérer comme exhaustive la liste des options disponibles ci-dessus. Elles visent à mettre en évidence le fait qu’il y a lieu d’être très prudent dans la prise d’une décision.
Lorsque le procureur décide de demander la délivrance d’un mandat d’arrestation, le/la plaignant(e) doit être remis(e) en liberté dès que possible dans la vaste majorité des cas, après avoir pris l’engagement de se présenter devant le tribunal au besoin. Dans les cas très inusités où la détention est jugée nécessaire, le procureur de la Couronne doit consulter le Chef du groupe des poursuites et/ou le Directeur régional, et en informer dès que possible le Directeur régional principal et le Sous-procureur général adjoint (Droit pénal).
28.8.2 Lorsque le témoin se présente, mais refuse de témoigner
Les témoins qui refusent de répondre aux questions peuvent être accusés d’outrage au tribunal. Le procureur de la Couronne doit faire tout ce qui est en son possible pour convaincre les témoins de déposer et d’éviter tel résultat. Si le procureur de la Couronne est au courant, avant le procès, qu’un témoin refusera probablement de répondre à des questions avant qu’il ne témoigne, le procureur devrait considérer s’il est opportun d’assigner cette personne à témoigner.
28.8.3 Lorsque le témoin ne décrit pas le récit attendu des événements en cause
Si l’accusation peut être prouvée par d’autres moyens de preuve, le procureur de la Couronne peut décider d’exempter le/la plaignant(e) de témoigner sans aucune sanction. Le procureur de la Couronne responsable du dossier devrait prévoir la réticence du/de la plaignant(e) et envisager d’autres moyens de présenter le dossier devant le juge des faits, notamment :
- demander l’autorisation de montrer au/à la plaignant(e) sa déclaration antérieure à la police afin de lui rafraîchir la mémoire;
- demander l’autorisation de déposer la preuve d’une déclaration antérieure incompatible pour prouver la véracité de son contenu, conformément au jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740, (1993), 79 C.C.C. (3d) 257;
- demander l’autorisation de déposer en preuve des déclarations antérieures hors cour du/de la plaignant(e) à titre de preuve res gestae (par ex. les enregistrements des services d’urgence 9-1-1 ou de la police);
- demander l’autorisation de contre-interroger le/la plaignant(e) au sujet d’une déclaration antérieure incompatible conformément au paragraphe 9(2) de la Loi sur la preuve au Canada; et
- demander l’autorisation de contre-interroger le/la plaignant(e) comme s’il s’agissait d’un témoin hostile, conformément au paragraphe 9(1) de la Loi sur la preuve au Canada.
28.8.4 Le témoin qui se rétracte
Il arrive que le/la plaignant(e) dans une affaire de violence conjugale signale à la police ou au procureur de la Couronne, avant la fin du procès, que les infractions alléguées n’ont pas eu lieu, en tout ou en partie. Le procureur de la Couronne doit en informer l’avocat de la défense, conformément aux politiques en matière de communication de la preuveNote de bas de page 13.
Lorsque le procureur de la Couronne est satisfait que la rétractation est véridique (c’est-à-dire qu’il n’y a eu, de fait, aucune violence conjugale), il convient alors de mettre fin immédiatement aux procédures instituées contre l’accusé et de renvoyer le dossier à la police pour déterminer si des accusations criminelles doivent être portées contre le/la plaignant(e) eu égard à la plainte initiale. Cette mesure ne peut être prise qu’après consultation avec le Directeur régional principal.
Lorsque le procureur de la Couronne n’est pas satisfait que la rétractation est véridique, mais qu’il n’y a plus de probabilité raisonnable d’obtenir une condamnation, le dossier doit être terminé. Le fait de la rétractation ne saurait justifier de lui-même la fin des procédures. Le procureur de la Couronne doit envisager les autres moyens de présenter le dossier, signalés au paragraphe 28.8.3.
Le fait que le/la plaignant(e) se soit rétracté(e) sera un facteur utilisé par l’avocat de la défense pour attaquer la crédibilité du/de la plaignant(e) lors du procès. En règle générale, ceci diminue les chances d’obtenir une condamnation et augmente le fardeau du processus juridique pour le/la plaignant(e). De plus, une rétractation démontre clairement que le/la plaignant(e) refuse de collaborer avec le procureur de la Couronne, et cela peut miner le dossier de la Couronne. Par conséquent, il y a lieu d’examiner de nouveau le bien-fondé de la poursuite. Les principes énoncés dans la politique sur la décision d’intenter des poursuitesNote de bas de page 14 s’appliquent.
question de la détention de l’accusé ou au bien-fondé des conditions de la mise en liberté imposées au préalable. Après avoir communiqué à l’avocat de la défense les détails de la rétractation, le procureur de la Couronne doit collaborer avec celui-ci afin de faire réviser sans retard par un tribunal de juridiction compétente la question de mise en liberté ou les conditions relatives à celle-ci. Toutefois, le procureur de la Couronne doit se rappeler que le fait de la rétractation peut signifier que des pressions ont été exercées sur le/la plaignant(e) par l’accusé ou des personnes associées à celui-ci.
28.9 Les enfants assignés comme témoins
Les enfants qui vivent dans un foyer où sont commises des infractions relatives à la violence conjugale, même ceux d'âge adulte, peuvent être réticents à témoigner à cause de leurs liens tant avec l'accusé qu'avec le/la plaignant(e), ou les deux. Certaines des considérations dont le procureur de la Couronne peut tenir compte lorsqu'il a affaire à des plaignant(e)s réticent(e)s à témoigner peuvent aussi s'appliquer aux enfants que la Couronne a assignés à comparaître dans de tels cas.
28.10 L’abandon des procédures
Après l'examen du dossier de la poursuite et, au besoin, après une consultation avec la police et une entrevue avec le/la plaignant(e), le procureur de la Couronne peut décider qu’une poursuite n’est pas appropriée. Dans de telles circonstances, il peut inscrire l'arrêt des procédures ou demander le retrait des accusations, mais seulement après avoir examiné attentivement tous les aspects du dossier, y compris les autres moyens de présenter la preuve, comme il ressort ci-après. Les procureurs ayant moins d’expérience ne devraient arrêter ou mettre fin aux procédures qu’après consultation avec un procureur de la Couronne d’expérience ou le Directeur régional.
La question d’abandonner les procédures peut requérir un autre examen par le procureur de la Couronne en tout temps au cours des procédures pénales. Une fois que le procureur de la Couronne détermine qu’il n’y a pas de probabilité raisonnable d’obtenir une condamnation, la poursuite devrait être terminée. Lorsque la preuve est suffisante pour justifier la continuation des procédures, le procureur doit considérer les facteurs suivants pour déterminer si la poursuite est dans l’intérêt du public :
- la gravité de l'agression dans le présent cas;
- s’il semble que le/la plaignant(e) ait été intimidé(e) ou menacé(e) directement ou indirectement par l’accusé ou sa famille ou ses amis en rapport avec la poursuite en question;
- s'il appert que le/la plaignant(e) sera traumatisé(e) inutilement si il/elle est tenu(e) de témoigner;
- s’il y a lieu de croire que le/la plaignant(e) commettra un parjure s’il/elle est appelé(e) à témoigner;
- si la preuve est suffisante pour poursuivre sans la collaboration et la participation directe du/de la plaignant(e);
- s'il y a lieu de craindre une récidive, plus particulièrement contre le/la plaignant(e) ou les enfants habitant dans le foyer;
- si l’accusé aborde son comportement abusif en participant au counselling ou à un autre traitement ou programme;
- si l’accusé a déjà été condamné pour des infractions de violence conjugale ou pour d’autres infractions de violence; et
- l’impact de ne pas poursuivre sur d'autres affaires à venir et sur l'administration de la justice en général.
Une décision d’abandonner les procédures est prise dans l'intérêt de la bonne administration de la justice, notamment de l'intérêt que porte le public à ce que le droit criminel se fasse respecter efficacement, de la sécurité du/de la plaignant(e) et du respect de la dignité et de la sécurité du/de la plaignant(e). Lorsque la décision d’abandonner la poursuite est prise, elle doit être communiquée sans délai à la police, au/à la plaignant(e), à la défense.
28.11 La détermination de la peine
Si l'accusé est condamné, le procureur de la Couronne doit recommander une peine qui, entre autres buts, reflète la dénonciation de la société à l'égard des infractions de violence conjugale. Le procureur de la Couronne doit aussi tenir compte des modifications au Code Criminel en 1999, lesquelles rehaussent le rôle des victimes dans les procédures de détermination de la peineNote de bas de page 15.Les considérations générales suivantes s’appliquent :
- le procureur doit s'opposer à toutes recommandations d'absolution conditionnelle ou inconditionnelle, à moins de circonstances extraordinaires et contraignantes;
- le procureur doit se souvenir que l’article 718.2(a)(ii) du Code criminel, fait que le mauvais traitement de son époux ou conjoint de fait ou de ses enfants sera considéré une circonstance aggravante aux fins de déterminer de la peine;
- il convient de tenir compte d’un plaidoyer de culpabilité comme facteur atténuant. De par leur nature, les infractions de violence conjugale sont généralement imprévisibles en termes de leur résultat. La réadaptation du délinquant est plus probable lorsque celui-ci admet avoir commis l’infraction, et le fardeau imposé au/à la plaignant(e) dans le cadre du procès est important. Par conséquent, une manifestation de remords se traduisant par un plaidoyer de culpabilité peut être significative;
- que l’accusé reçoive une peine d’emprisonnement ou non, il convient d’envisager une ordonnance de probation dans le cadre de la peine, assortie de conditions en vertu desquelles le délinquant doit participer de façon sérieuse à un programme de violence conjugale;
- le procureur de la Couronne doit s’opposer à toutes recommandations de peines avec sursis ou de peines sans emprisonnement, sauf si l’ordonnance peut être assortie de conditions suffisantes pour assurer la protection du/de la plaignant(e). Toutefois, le procureur ne doit pas considérer que l’incarcération est la seule solution appropriée; par exemple, il doit garder à l’esprit les principes énoncés dans l’affaire R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, (1999), 133 C.C.C. (3d) 385 en ce qui a trait à l’incarcération des délinquants autochtones;
- le procureur doit s’assurer que le/la plaignant(e) a eu l’occasion de préparer une déclaration d’impact sur la victime et de la présenter à la cour durant les représentations sur sentence. L'article 722.2 du Code criminel prévoit que l'occasion de préparer une déclaration doit être fournie au/à la plaignante et le poursuivant doit être en mesure d'informer le tribunal à cet égard;
- le procureur doit envisager dans tous les cas de présenter une demande en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au délinquant de posséder des armes à feu, des munitions, des explosifs ou un certificat d’acquisition d’armes à feu;
- le procureur doit envisager de présenter une demande en vue d’obtenir une ordonnance de confiscation de toute arme ou munitions utilisées dans le cadre de l’infraction de violence conjugale : voir l’article 491 du Code criminel; et
- si la peine infligée est erronée en principe, un appel devrait être considéréNote de bas de page 16.
Le procureur de la Couronne doit prendre les mesures raisonnables qui s’imposent pour veiller à ce que le/la plaignant(e) soit au courant de la peine infligée et des procédures d’appel qui ont été intentées, le cas échéant.
L’utilisation de la procédure d’engagement à ne pas troubler l’ordre public prévu à l’article 810 du Code criminel ne doit pas être poursuivi comme mesure de rechange ou mesure recommandée dans les cas d’infractions de violence conjugale.
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